TRAB du temps des Américains (part 3)

La piste utilisée par le 354th Fighter Group est impraticable, les avions du 354th vont déménager sur Rosy ( Rosières ). Le 354th Fighter Group a été constitué le 12 novembre 1942, et activé le 15 novembre sur la base d’Hamilton, en Californie. Il sert, tout d’abord, dans le cadre de la défense aérienne de l’Ouest. Équipé, au départ, de P39Airacobra, il se transforme, le 4 novembre 1943, sur P51 B Mustang. Il est transféré le 13 novembre sur un terrain de la RAF, à Boxted dans l’Essex. L’aérodrome est situé à environ 4 miles (6,4 kilomètres) au nord-nord-est de Colchester, et à environ 44 miles (71 km) au nord-est de Londres.
Le 354th Fighter Group est rattaché à la 9e Air Force, Il se compose de trois escadrons. Le 353rd Fighter Squadron (FS), avec comme insigne un cobra ailé, le 355th FS avec comme insigne un “chiot pugnace” avec son casque ailé, et le 356th FS, avec comme insigne un âne rouge. Les escadrons participent, depuis leur base en Angleterre, avec leur P51, à l’escorte des bombardiers. Le P51 est surnommé ” la Cadillac du ciel”. Ils sont heureux de voler sur cet appareil, et l’ambiance est plutôt excellente. Le groupe quitte l’Angleterre, quelques jours après le débarquement en Normandie.
Il rejoint le terrain de Criqueville le 22 juin 1944, puis l’avance se poursuit au fur et à mesure du recul des troupes allemandes. Le 13 aout, il rejoint le terrain de Gaël, le 18 septembre il est à Orconte. Pendant son séjour à Orconte, la Marne déborde de son lit et inonde la piste. Le groupe se déploie sur Saint-Dizier. Le 13 novembre il rejoint le terrain de Perthes. C’est vers la mi-novembre 1944 que la nouvelle tombe : le groupe va se transformer sur P47D. C’est un coup porté au moral du personnel navigant. Les pilotes vont retourner à l’instruction pour se former sur ce nouvel appareil. La mission du groupe va changer, il devra participer à l’appui feu pour les troupes au sol. Les pilotes vont s’engager dans la bataille des Ardennes.

Un mur de bois, réalisé avec des troncs d'arbre.
Un mur de bois, réalisé avec des troncs d'arbre.
Vu la taille impressionnante des P47, les alvéoles sont trop petits
Vu la taille impressionnante des P47, les alvéoles sont trop petits

Le P-47 est le plus gros chasseur américain de la Seconde Guerre mondiale. Il est produit à plus de 15.000 exemplaires. Sa grande taille et sa construction robuste lui ont valu le surnom de ” Jug ” abréviation de ” juggernaut ” soit ” le fléau “. Le 25 novembre 1944, Rosy accueille un escadron de P-47 D «Thunderbolt, il s’agit du premier escadron du 354th Fighter Group qui vient de finir sa transformation. Rosy est toujours en travaux, il n’y a que quarante alvéoles de construits sur les 153 prévus. Le poids des P47 va causer d’autres problèmes. Les chemins de roulement n’acceptent pas la masse des appareils. Ces gros oiseaux sont décidément trop lourds pour l’épiderme délicat de Rosy. Les missions, confiées au 354th, imposent des rotations d’appareils phénoménales. Trente à quarante appareils décollent de Rosy. Certains avions font quatre rotations par jour. Les sapeurs vont travailler nuit et jour pour réparer ces chemins de roulement et la piste. Les plaques PSP sont soulevées et de grandes pierres larges sont glissées dessous.  Autre problème, vu la taille impressionnante des P47, les alvéoles sont trop petits, il faut agrandir ceux qui sont déjà construits et revoir les plans pour les autres. Et pour combler le tout, voilà que la boue se met à remonter.

Sur Rosy, il n’y a pas de repos possible pour les hommes ni pour le matériel. Le constat est vite fait. Ce n’est qu’en ajoutant des pierres que la piste peut rester opérationnelle. Alors le “big boss” demande, par radio, qu’un concasseur de roches soit envoyé sur Rosy. Il y en a bien un, en réparation, il servira de réserve lorsqu’il pourra rouler. Le travail d’empierrement se poursuit jusqu’au 3 décembre 1944, date à laquelle la piste de Rosy est enfin déclarée opérationnelle.

La construction de Rosy a demandé, tout de même, plus de 400.000 heures de travail et le maniement de 90.000 tonnes de pierres et de gravier.

 

Pose de plaques PSP
Pose de plaques PSP
Il a fallu beaucoup de plaques pour construire la piste de TRAB

La vie s’organise, tant bien que mal, sur Rosy. Pour sortir de la monotonie quotidienne, des clubs tentent de se former. On crée un club des hommes du rang, un club des officiers, les chefs sont un peu plus indulgents sur le règlement militaire, mais les balades à Nancy restent les meilleures attractions pour les hommes. Des liens se tissent entre les sapeurs et les habitants du village. Le docteur Donahue, qui parle un français parfait, est même demandé comme parrain pour un baptême. Les Américains ont cependant une vue particulière sur le village de Rosières :

” Le statut social d’un villageois de Rosières se mesure ă la hauteur du tas de fumier fumant qu’il a entassé en face de chez lui. Il y a une tradition qui perdure depuis des centaines d’années en Lorraine, la richesse et le prestige se mesurent en fonction de la hauteur du tas de fumier… selon la tradition, le fait de marcher dans le fumier porte bonheur, ă condition d’y marcher du pied gauche… À rosières, la chance se trouve ă chaque coin de
rue… ” Il y a là une habitude de vie, qui dépasse l’entendement des Américains, habitués à vivre en milieu aseptisé. Rosières sera d’ailleurs baptisé Η le village parfumé”.

Autre vue sur le village, “le village semble garder la même apparence depuis toujours… c’est un village à majorité paysanne, les rues principales sont encombrées de crottin de cheval et de tas de bois qui sont les symboles de la France rurale… deux autres images types, le bétail couche dans le même bâtiment que les villageois et de nombreuses volailles se promènent en liberté dans les rues… “

Les habitants invitent les sapeurs à manger, mais là aussi, d’autres habitudes alimentaires se côtoient”. Invité avec un camarade à partager le repas d’une famille de Rosières, j’ai perdu tout mon appétit en voyant que le poulet qui nous était servi avait conservé sa tête… j’ai murmuré à mon camarade ce n’est pas vrai, je ne pourrai jamais manger ça ! Je ne peux déjà pas supporter de le voir, alors pas question de le manger ! “

Les échanges de bons services ne manquent pas. Monsieur « T » élevait des cochons dans sa ferme. Lorsque ses parents décidèrent d’en élever aussi, le problème du transport des bêtes se posa très vite. À cette époque, les véhicules n’étaient pas légion dans nos campagnes.  La permission d’utiliser l’ambulance américaine de Rosières fut vite monnayée par le troc et notre brave paysan transporta les porcelets de Sanzey à Rosières. Mais, que ce serait-il passé si l’on avait eu besoin de l’ambulance pour un blessé ou si ladite ambulance s’était fait arrêter à un barrage ? Soucieux, toutefois de l’hygiène, les américains demandèrent aux paysans de désinfecter entièrement l’ambulance.

Autre anecdote locale : le maire occupait une maison à étage, cette maison servait de mairie et d’hébergement pour deux infirmières. Un soir, un officier américain vient rendre visite aux deux infirmières et, ce qui devait arriver, arriva, il se retrouve au lit avec l’une d’entre elles, mais après quelques festivités et libations, un coup de feu retentit dans la chambre, la balle creusa un gros trou dans le plafond, répandant de la poussière de plâtre dans toute la pièce ;  c’est la femme du maire qui vit d’un très mauvais œil cette aventure amoureuse et peu de temps après, un soldat de la “Military Police”  montait la garde au 38 de la rue Sagonale.

Un certain « J. CH » se souvient également de cette époque et des repas que les G’Is partageaient avec les jeunes du village͙ les G’Is recevaient, de la part des habitants, des œufs, des choux, des oignons et de la « Η gazoline », l’eau de vie de mirabelle, distillée par les paysans.

Des sapeurs du 850th devant le monument aux morts de Rosières (1944/1945)
Campement du 850th à Rosières, hiver 1944/1945
Campement du 850th à Rosières, hiver 1944/1945

L’hiver, 44/45 tombe sur Rosy. Un hiver froid, glacial, il faut démarrer les machines et les faire tourner à intervalles réguliers pour qu’elles ne refroidissent pas.  La neige tombe, couvrant d’un blanc manteau la campagne lorraine. Les températures relevées sur le terrain oscillent entre -5°C et -21°C. Une couche de glace se forme et il est de plus en plus difficile, pour les pilotes, de voler. Les avions partis en mission ont bien des difficultés pour retrouver la piste qui se noie dans un brouillard épais, comme on en connaît à Rosières. Tous les hommes du bataillon, à l’exception de ceux qui montent le hangar Butler, ainsi que le bataillon X des Français, sont affectés à la maintenance de la piste.  L’objectif est de ne pas interrompre les vols. Les P47 ont bien du mal à rouler sur ce tapis
de glace et les accidents sont nombreux. Deux ouvriers français, qui regardaient les atterrissages, sont fauchés par un P47 qui glisse. Ils sont déchiquetés par l’énorme hélice. Grâce à l’effort des uns et des autres, le 354th peut continuer, malgré tout, ses missions hivernales. La peine et la sueur des gars de Rosy permettent de garder l’œil sur les Allemands, le succès du raid du mois de décembre 1944 a bien remboursé le prix payé.

Le 18 décembre 1944, un avion allemand survole le terrain et tire quelques rafales de mitrailleuse sur la piste. Les tentes de la “rue de la compagnie” sont dispersées à la hâte et la nuit, les hommes s’attendent à voir les avions allemands arriver. Il est facile de savoir quand l’aviation ennemie arrive. Les hommes entendent le vrombissement des moteurs lorsque l’avion s’écarte de la Moselle et qu’il suit l’alignement de la nationale 411, puis, arrivé au garage, comme si une balise était plantée à l’intersection de la N 411 et de la N 408, le ronflement du moteur change et l’avion bascule sur la zone pour mitrailler ou larguer ses bombes.

Il y a eu deux largages de bombes entre le garage et la compagnie “A”, comme si quelqu’un guidait les avions. Le Commandant Thomas et le Sergent Boyd gardaient un fusil armé, pointé en direction du clocher de l’église où l’on avait aperçu clignoter des lumières, comme pour attirer quelqu’un. La riposte est fournie par la compagnie “C” qui remplit le ciel de balles traçantes, même lorsque l’ennemi est parti en direction de Nancy͙. L’église de Rosières émerveillait les Américains. L’aumônier Miller célébrait les offices à l’intérieur dans une atmosphère des plus révérencieuses. Les hommes admiraient les vitraux, ainsi que le cimetière et ses pierres tombales surprenantes. Mais les signaux lumineux, aperçus dans le clocher, avaient rendu méfiants les hommes du 850th, qui n’hésitaient pas à garder des armes pointées vers le point haut de la petite église. On n’a jamais réussi à surprendre un individu dans le clocher, l’épisode des lumières reste encore un mystère.

Le 22 décembre, un avion lâche une bombe sur le terrain endommageant deux avions au sol. Pendant la période de Noël, des avions allemands survolent le terrain la nuit. Le commandement décide de construire des pare-éclats, avec des sacs de sable et de remblais, tout autour des alvéoles. Des mitrailleuses antiaériennes sont également installées sur le terrain et dans le village, ce qui ne rassure pas la population. Une tour de guet est construite en sapin. Le soir de Noël, des avions allemands mitraillent la tente des latrines. Selon les récits de l’époque, c’est l’affolement général et les soldats quittent la tente le pantalon sur les chevilles, il est vrai que la peur donne des ailes. Un dernier bombardement est effectué, peu après, mais les bombes tombent sur Dieulouard, c’est tout de même un sacré écart de visée !

Pendant tout l’hiver, les concasseurs mâchent de la pierre et un tas, assez impressionnant, est prêt à l’emploi.  La remise en état de la piste commence dès que le tas de pierres est suffisant. Et pendant toutes les nuits, les compagnies “B” et “C” relèvent les plaques PSP, déposent vingt centimètres de pierre pour stabiliser la base. Les hommes ont appris à travailler la nuit et à contrôler leur travail dans l’obscurité. Les quelques projecteurs qui sont utilisés transforment les matériels et les hommes en ombres étranges, mais le travail se poursuit. La piste est recouverte de jute et les plaques sont remises en place. Le travail s’arrête lorsque le dégel arrive, et ce dégel, tant attendu, arrive brutalement.

La veille, le thermomètre indique moins onze degrés et le lendemain, la pluie fait son apparition, annonçant la fin du froid. À partir de ce jour, la température n’est jamais descendue au-dessous de zéro. La neige, pourtant abondante, fond en deux jours. Ce sont des torrents d’eau qui se forment sur la piste, et tous les hommes, y compris les Français, sont réquisitionnés pour s’occuper des fossés et surveiller le drainage qui a été mis en place. Pendant deux jours, le dégel mobilise les hommes, les reprises à effectuer sur la piste apparaissent au fur et mesure du dégel. À la fin du dégel, Rosy existe enfin ! Tous les efforts sont récompensés. Il y a encore du travail à accomplir, les Français doivent refaire les murettes des fossés, les tests des tours de protection doivent se poursuivre, le revêtement doit être surveillé, mais le travail du 850th Génie est enfin terminé. La piste est construite ! Le 850th peut alors poursuivre son épopée, gardant de la construction de Rosy une grande leçon. Mais avant de quitter Rosy, le bataillon doit encore relever un défi. Un P47 qui décolle largue, accidentellement, ses bombes sur la piste. L’avion est détruit, mais un trou béant se trouve au milieu de la piste, empêchant tout décollage et tout atterrissage.

Un officier de la seconde brigade, présent sur les lieux, répercute, aussitôt, l’incident vers l’état-major, indiquant que les avions qui viennent de décoller devront, sans doute, se poser ailleurs au retour. C’était sans compter sur la conscience professionnelle des hommes du 850th, et deux heures après, le trou était bouché et les avions pouvaient utiliser de nouveau la piste. Rosy avait appris une chose, aux Américains, c’est que l’impossible n’était pas uniquement français !

A la suite de l’attaque de Mousson, les pertes américaines sont énormes. La boue, toujours omniprésente, dans les environs du terrain, pose quelques difficultés aux ambulances acheminant les blessés vers l’hôpital militaire de Martincourt. Les Américains n’hésitent pas à sacrifier toute une sapinière pour construire une route de rondins à la manière des
Canadiens.

Tous les matins, un convoi de Dodge (6×6), équipé de remorques, transporte les cadavres vers le cimetière provisoire près de Novéant. Rosy accueille également des avions de transport, comme les célèbres C47 Skytrain DAKOTA. Ces appareils assurent l’acheminement des blessés et le ravitaillement du front de Moselle. De même, les bombardiers en difficulté, de retour de mission de bombardement au-dessus de l’Allemagne, se posent sur le terrain pour réparation. Rosy accueille des A-26 Marauder de retour de mission.

Le 850th a noté deux choses à Rosières : d’abord que les Français n’étaient pas si mauvais que cela, ensuite, que le 354th FG, commandé par le Colonel Bickell, était une unité formidable, qui n’a pas hésité à donner un coup de main pour la réalisation de la piste. Un fait, tout à fait inhabituel, de la part de l’Air Force, mais un fait à noter dans les archives.

La période française pour le 850th se termine le 31 mars 1945.

Le premier avril, jour de Pâques et du fameux poisson, il fait route vers l’Allemagne, laissant, aux Français, le soin d’entretenir la piste de Rosy, qui continuera son activité jusqu’à l’armistice. L’armistice, ce sont des prisonniers allemands qui sont employés au démontage des plaques PSP. Il ne reste, par la suite, que le hérisson déployé pour assécher le terrain. Les agriculteurs ne pourront pas exploiter  ces  terres, la couche de pierre empêchant  toute nouvelle culture.

Les Américains évacueront le terrain de Rosy, emportant l’essentiel. Les morts qui ne seront pas réclamés par les familles, seront retirés du cimetière provisoire et inhumés, avec les honneurs, au cimetière américain de Dinozé dans les Vosges.

Telle fut l’histoire de Rosy, nom de code A98, premier terrain d’aviation militaire   américain   de   Rosières-en-Haye,   pendant   la   période   de septembre 1944 à mai 1945.

Histoire tirée du livre “The    850th. Engineer Aviation Battalion”, à la mémoire de : Elmer M. Bryant, Steven A. Peters, John L. Carter, Arthur M. Flores and Benedict F. Axtman.

Traduction Didier Houmeau, rédaction Gérard Bize. “Pour que Rosy reste gravée dans nos mémoires.”

 

 

 

Une réponse sur “TRAB du temps des Américains (part 3)”

  1. BONJOUR

    PETIT DANS LES ANNÉES 70 NOUS CHERCHIONS UN HÔPITAL SOUS TERRAIN UN PEUT
    AU DESSUS DE LA COLONIE DE VACANCES DE MARTINCOURT
    JAMAIS TROUVER , ELLE ÉTAIT SIGNALER SUR LES CARTES D ÉTAT MAJOR
    LÉGENDE URBAINE ????
    CLAUDE

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