TRAB ; du temps des Américains (part 2)

 

Beaucoup d’ouvriers français, travaillant sur le chantier de Rosy, se procurent des habits militaires. Le troc avec la mirabelle va bon train. En  effet la “gazoline”, comme le disent si bien les sapeurs, est une monnaie  d’échange. Le Lieutenant-colonel RAY, voyant un homme travaillant en tenue, mais avec les manches relevées et sans le casque obligatoire, s’approche de lui pour lui passer un savon.  En guise de réponse il n’obtient que la sempiternelle phrase, “comprends pas” ! Et ce fut le responsable du matériel qui se fit remonter les bretelles ce jour-là.

Ouvriers civils au travail
Ouvriers civils au travail

Les ouvriers civils sont encadrés par le Lieutenant Mac Laughlin. Et le travail avec l’impétueux Mac Laughlin restera une expérience inoubliable pour tous ces Français, dont la tâche est très utile, dans chaque phase des travaux. Surnommés “les grenouilles”, les ouvriers français participent aux tâches de responsabilité sur tous les projets. Le mur, tout le long de la route périphérique de Rosy, est le fruit de leur labeur. Même si les Français sont moins rapides que les Américains, le travail des “grenouilles” permet aux hommes du 850th de mener à terme leur construction, tout en participant aux missions programmées lors de la bataille des Ardennes. Il faut reboucher les trous des aérodromes bombardés par les Allemands.

Mais lorsqu’un énorme Caterpillar se vautre dans la boue, et que ses  chenilles ne font que remuer la fange boueuse, il est assez déprimant, pour les Américains, de voir un petit Français, aux jambes arquées, s’enfoncer dans la gadoue et creuser, avec sa petite pelle, un canal pour que l’eau s’évacue et que le gros Caterpillar puisse continuer sa besogne. Les hommes du 850th ont vu une montagne de petites choses, comme celle-ci, pour que Rosy soit enfin construite.

C’est au mois d’octobre 1944 que les Dieux accordent une trêve à Rosy. Le soleil se met à luire et le transport des pierres, pour la tranchée de la piste, se termine rapidement. Après les pierres, il est décidé de mettre des scories. Les scories sont issues des usines de Pompey, mais après le débordement de la Moselle, qui inonde Pompey et emporte tout le stock, elles sont acheminées depuis Pont-à-Mousson. La pluie, qui revient quelque temps après, entraîne un changement radical dans le principe de construction.  La toile de jute est définitivement abandonnée.  On remplace, cette dernière, par des plaques PSP, qui sont posées sur un tapis de paille. À la fin du mois d’octobre 1944, deux compagnies (A et B) sont libérées de leur chantier sur Reims et Saint-Dizier. Elles sont employées à la pose des plaques PSP sur Rosy. À cette époque, les  Allemands ont reculé, il n’y a plus de tirs d’armes de petits calibres et l’artillerie ne se fait entendre que dans le lointain. La Luftwaffe n’apparait plus dans le ciel, il n’est donc plus nécessaire de disperser les nouveaux arrivants. Les tentes sont bien alignées dans la “rue de la compagnie” ce qui parait, toutefois, bien imprudent en période de guerre.

La pose des plaques devient, vite, un cauchemar pour les deux compagnies. La boue, toujours présente, empêche les camions de  décharger les scories et les plaques au fur et mesure de l’avancement des travaux. Les scories et les plaques sont maintenant déposées sur le bord des chemins de roulement. C’est donc manuellement que les matériaux sont acheminés sur le lieu de pose. Les manipulations sont effectuées sur des distances atteignant, parfois, cinq cents mètres. Les bas-côtés de la piste sont très vite défoncés et les camions et les bennes doivent être tirées par les Caterpillar, à la grande désolation du Lieutenant Paynter.

Les fameuses plaques PSP
Les fameuses plaques PSP
Il a fallu en poser pour que Rosy existe !
Il a fallu en poser pour que Rosy existe !

La pluie, qui transforme la piste en véritable torrent de boue, déplace les plaques PSP à peine posées. Ce glissement entraine le décentrage du tapis, obligeant les sapeurs à tout démonter et à recommencer depuis le  début. Deux jours de travail sont ainsi perdus, en quelque temps, et la piste n’est toujours pas en état de fonctionner au grand désarroi du “big-chief”.

La construction des alvéoles n’est pas de tout repos non plus. Il est prévu de protéger les alvéoles par un mur de bois, réalisé avec des troncs d’arbre. Ce mur doit maintenir la terre des merlons. Le Lieutenant Durham est le responsable des bois. Le bataillon des Français attaque la forêt, marquant les arbres à abattre. Les sapeurs, d’un coup de scie électrique, fauchent   les   troncs   comme   des   allumettes.  Les   Français   à   l’aide d’attelages de chevaux, ou d’attelages mixtes (un bœuf et un cheval) tirent les troncs vers les espaces découverts. Ils sont aidés, par la suite, par une section de sapeurs (les Américains tiennent à participer à tous les travaux). Une grue de 20 tonnes tire les troncs sur la nationale sur un kilomètre, et les Français entassent ces énormes troncs, sur des remorques. Trois alvéoles sont construits, par la section du Lieutenant Zielinske (dit Little Joe), avec le bois coupé, avant que le projet ne soit définitivement abandonné au profit de murs en pierres.

Surnommée “l’enfer de la boue”, cette piste met les nerfs du personnel à rude épreuve. Les compagnies “H” et “S”, en charge de la maintenance du matériel et de son transport, traquent tout véhicule ou engin à moteur, capable de rouler à une vitesse supérieure à celle d’un bœuf au pas. Rosy a réduit à néant tout ce que les hommes avaient appris en matière d’équipements pour les opérations et le transport. On retrouve la description de cet enfer dans une lettre du cuisinier, William Albert Akers, qu’il envoie à sa famille :

Ce serait tellement joli si le soleil voulait bien se montrer…la pluie et la boue sont très gênantes. La boue colle aux chaussures, au matériel et à la peau et les véhicules ne peuvent pas bouger de place sans être treuillés. À la cuisine, la boue monte jusqu’au-dessus des chaussures. Aujourd’hui dimanche, j’ai passé une heure à enlever la boue de mes chaussures, je les ai cirées et fait briller, puis j’ai mis des vêtements propres pour sortir, mais j’avais à peine terminé que la pluie a recommencé. Je crois que je vais me contenter de vivre avec des bottes et des vêtements pleins de boue ! Il y a quelques jours, on nous a apporté des caisses de rations qui étaient tellement recouvertes de boue que j’ai eu toutes les peines du monde à lire ce qu’elles contenaient. J’ai l’impression qu’on ne nous racontait pas d’histoires en parlant de la boue des tranchées en France pendant la Première Guerre mondiale. Sherman disait, la guerre c’est l’enfer, ici l’enfer c’est la boue. Si nous ne partons pas rapidement d’ici, et que la boue augmente, j’ai l’impression que nous ne pourrons jamais en sortir, et je ne crois pas non plus qu’on puisse venir nous y chercher.”

Lors du transport de scories, sur le chemin de Pont-à-Mousson à Rosières, les routes étroites et glissantes sont aussi dangereuses que de l’herbe gelée. La route est souvent mitraillée au clair de lune. Les chauffeurs traversent des villages chamboulés, des carcasses de tanks longent le chemin, le bruit de l’artillerie rappelle que la prudence est de mise. Oui, mais voilà, les hommes n’ont pas le temps d’être prudents. Les camions doivent rouler jour et nuit. La production ne doit pas chuter, sinon, le “big chief” ne serait pas content. Le transport par camion est impitoyable à Rosy. Lorsque les routes sont terminées, avec le hérisson en scories et les vingt centimètres de pierres, elles partent, aussi vite, en lambeaux sous le poids des camions. À force d’efforts pour reconstruire, les hommes deviennent agressifs.

 

 

Ce soldat américain, comme beaucoup d’autres, à   cette   l’époque, a sympathisé avec   les   habitants   de Rosières.   On le  voit   ici   sur   la photographie en compagnie de la mère et de la tante d’une habitante de Rosières.

Abattage des arbres
Abattage des arbres
Construction des alvéoles
Construction des alvéoles de Rosy

Les bruits, qui commencent à circuler au sein du 850th, laissent à penser que le bataillon va passer l’hiver sur Rosy. C’est à cette époque que des idées germent dans l’esprit des hommes. Certains souhaitent avoir un mess, des douches, des salles de repos. Une idée du docteur Donahue va rester dans les annales du 850th. Ce brave médecin propose de déplacer le mess de l’état-major, insistant sur le fait que le cuisinier, Albert Akers, doit installer ses cuisines dans la prairie de l’autre côté de la route. Le “Doc” choisit, lui-même, l’emplacement. Malheureusement, avec la pluie, le nouveau mess se trouve inondé, les hommes ont de l’eau jusqu’aux genoux. Les aides-cuisiniers doivent chausser leurs bottes, et Albert Akers, surnommé “Brush Face” caresse avec nostalgie, son grand couteau, chaque fois que le nom de ce “foutu toubib” est prononcé. Avec l’humour américain, cet endroit est aussitôt baptisé “lake Donahue” et il est resté célèbre jusqu’au départ du 850th.

William Albert AKERS, alors cuisinier au 850th bataillon du génie américain.
William Albert AKERS, alors cuisinier au 850th bataillon du génie américain. Photographie dans une rue du village de Rosières. 1944/1945
Le fameux "lac DONAHUE"
Le fameux "lac DONAHUE"
Le Capitaine Donahue
Le Capitaine Donahue

Le calme, relatif, qui s’est installé, conduit à la redistribution des tâches. Le Capitaine Plunkett est relevé de la compagnie “A” et se voit confier le bataillon “X”, celui des Français. On lui donne, également, la responsabilité du contrôle, qu’il doit assurer avec Henri Verhert, le chef de chantier de l’entreprise Duval. Plunkett va se battre, pendant des mois, pour que les choses restent en ordre et évitent de sombrer dans un chaos indescriptible. Son premier “coup de gueule” se produit, lorsque les ouvriers français sont véhiculés dans un camion débâché, faute de moyens. Les hommes, couverts de boue, sont un peu la risée publique tout au long du parcours. On entendit hurler Plunkett jusqu’à l’autre bout du camp. Et depuis ce coup de gueule, les ouvriers ont bénéficié d’une attention, toute particulière, les camions ont été recouverts, et on a pris soin des “grenouilles”. La pluie, omniprésente sur Rosy, l’est également sur le terrain d’Orconte, un terrain d’aviation situé sur les rives de la Marne qui vient de déborder.

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