UN ABOUTISSEMENT : LA GUERRE DU GOLFE
Un aboutissement : la guerre du Golfe ! Il s’agit maintenant de démontrer l’efficacité et l’adéquation de tout l’entrainement consenti pendant quatre années. Au niveau personnel, savoir si chacun est effectivement prêt mentalement et physiquement à subir la pression des événements et soutenir la tension des combats. La mémoire a tendance à lisser les événements et ne retenir que certains flashs. Pourtant à l’évocation de cette période, deux images me viennent spontanément à l’esprit : la première mission réalisée par le détachement sous le commandement du commandant Mansion et pour laquelle je n’ai été que spectateur ainsi que mon dernier vol avant le retour ou bercail.
C’est à travers les premières alertes de tir de Scud que nous allons prendre pleinement conscience du déclenchement des hostilités. Le ballet des premiers avions est impressionnant. Les pilotes dont nous avons pu suivre l’entraînement aux attaques terrain depuis plusieurs jours se rassemblent pour finaliser les derniers préparatifs. Je ne peux m’empêcher de repenser à l’émotion qui m’a saisi lorsque je les ai vus décoller ou petit matin. C’était un départ vers l’inconnu ; la situation tactique présentée par les officiers de renseignement avait de quoi inquiéter. Qu’est-ce qui les attend, combien vont en revenir ?
C’est en pleine préparation de notre mission que leur retour est annoncé : le compte n’y est pas mais nous apprenons avec soulagement que les avions manquants ont pu se dérouter. La résistance du Jaguar aux tirs missiles s’avérera frappante. L’intérêt d’un biréacteur est, si besoin était, encore une fois démontré. Deux autres avions touchés par du petit calibre se posent et le capitaine MAHAGNE, touché à la tête, ensanglanté, ne doit son salut qu’à quelques millimètres.
Ils ont vécu l’enfer mais tous reviennent soins et saufs. Conditions particulières pour préparer notre mission du lendemain. De manière surprenante, l’émotion est de courte durée ; ma curiosité est dorénavant satisfaite. Il s’agit alors de se concentrer sur la préparation de mission. Il reste à savoir si nous opérerons à très basse ou moyenne altitude.
Ce sera finalement une approche à 20 000 pieds. Pour l’AS 30 Laser, nous sommes déjà entrainés à un cas de tir en moyenne altitude et prêts à l’utiliser. Pour ce qui concerne les bombes de 250 kg lisses, les pilotes devront attendre un peu avant de se voir proposer un mode de tir adéquat et obtenir la précision nécessaire.
Dernière mission avant mon retour à Bordeaux. Je suis maintenu, quelques jours supplémentaires afin de réaliser une attaque AS 30 Laser sur les hangarettes avions du terrain de Shaibah. Cette mission apparait un peu plus complexe et dangereuse. Ainsi une protection de Mirage 2000 RDI et d’EF111 de I’USAF est-elle planifiée.
Tout se passe de manière nominale : je suis leader de la seconde PL. L’acquisition de l’objectif est facilitée par les excellentes conditions météorologiques et l’absence de fumées. Dans ce type d’attaque, le plus délicat est de trouver le DMPI alloué. J’obtiens la hangarette prévue en TV, le tir est réussi, la patrouille rassemblée et le retour au terrain se déroule sans aucun problème. Atterrissage, retour parking. La cassette AGL est aussitôt retirée pour être débriefée, copiée et transmise en métropole. Le débriefing complet de la mission va alors dévoiler d’autres aspects de ce vol.
Dès mon retour aux OPS, les pilotes qui ont débriefé le tir tiennent à me montrer la vidéo. Celle-ci permet de distinguer très nettement du personnel irakien se réfugiant dans le bâtiment au moment même de l’attaque des deux premiers Jaguar et ce, ironie du sort, juste avant l’explosion de mon propre missile.
La guerre prend alors une autre dimension. Jusqu’à présent, les morts que nous pouvions provoquer n’avaient qu’un aspect virtuel et aucun témoignage direct ne venait en attester. La précision des prises de vue réalisées par l’OM 40 permettait seulement de confirmer la destruction de matériel. Pour le reste, tout n’était alors que question de statistiques. Là, c’est différent ; tout est filmé. Parallèlement, le témoignage des pilotes des M2000 RDI confirme l’explosion à moyenne altitude d’un missile sol-air.
L’analyse fine de la cassette de mon n°2 montre en effet que je fais l’objet d’un tir SATCP (Sol Air Très Courte Portée) pendant la phase de dégagement. Heureusement, l’utilisation préventive des leurres a été efficace et confirme la très grande vulnérabilité du tireur pendant la phase de tir et d’illumination. Le danger zéro n’existe pas. Les nombreux tirs d’artillerie sol-air et de missiles sont là pour en attester. Je me remémore en cet instant le « discours du samouraï », comme nous l’appelions entre nous, subi quelques jours plus tôt. Il était destiné, à priori, à rassembler les énergies et préparer les pilotes à effectuer des missions plus dangereuses à très basse altitude dans le cadre de l’appui feu nécessaire lors de l’avancée des troupes ou sol.
Était-ce nécessaire, utile ? Difficile à dire. Cependant, il était déroutant de s’entendre dire qu’aucun appareil français n’ayant été abattu, cela prouvait la faiblesse des menaces voire l’absence de danger lors de ce conflit. Tout le monde en était sorti incrédule. Nouveau type de conflit, nouveaux profils de mission… La campagne aérienne a été intense et les moyens engagés ont effectivement d’emblée mis à mal la défense aérienne et sol-air irakienne. Mais, c’était faire peu de cas de tous les tirs de DCA que nous avions essuyés et des risques encourus. Le point commun entre ces deux souvenirs est une émotion particulière, une certaine forme d’appréhension par rapport à l’engagement initial de nos pilotes et le trouble face à la confirmation des victimes de mes propres tirs.
Ces émotions sont fugaces, vite ravalées ; chaque pilote doit être prêt à vivre ce genre de situation. On ne peut cependant pas y échapper lors d’un baptême du feu.
L’entrainement constitue alors un refuge, un repère ; l’esprit se tourne entièrement vers la préparation et l’exécution de la mission. Heureusement, seuls subsistent le stress et l’agressivité nécessaires.
Pur produit « Mud », mes trois années passées sur Tornado F3 o au 29 SQN de Coningsby à l’issue de la dissolution de l’EC 04.011 ont été riches en expérience. Avant de repartir pour la France, une question brûlait les lèvres du personnel de la RAF : savoir où se portait ma préférence, la défense aérienne ou l’attaque ou sol ?
Aucun doute possible : un entraînement hors pair lors de mon séjour en Grande-Bretagne (Red Flag, Mapple Flag, l’ACMI, campagne de tir à Chypre, tir de missile SkyFlash) mais pour ce qui concerne les opérations extérieures, mes six années sur Jaguar !
Lors de l’opération Deny Flight et sans vouloir minimiser leur importance, les missions de CAP n’étaient rendues vraiment « intéressantes » que lors d’accrochages des systèmes sol-air ou des activités « Air Présence » réalisées ou profit des troupes au sol.
Ces années sur Jaguar m’ont permis de vivre une expérience aéronautique et une aventure personnelle particulièrement riches que ne m’aurait pas pu m’offrir une autre affectation, un autre avion.
Seul regret, l’absence de remise à niveau importante du Jaguar qui aurait pallié certaines carences (motorisation, SNA, CME ou détecteur de menace…). Les améliorations apportées parfois tardivement peuvent paraitre dérisoires en regard des services rendus. Mais, sa capacité AGL lui aura permis de durer.
Ainsi, en tout lieu et toutes circonstances, dernièrement en BH, ou Kosovo, le Jaguar aura toujours démontré son efficacité et ses qualités de bête de guerre. Aujourd’hui les 3O ans du Jaguar. Puisse cette occasion faire revivre les moments forts de son histoire et de celle de tous les personnels qui ont signé ses heures de gloire.
LCL N….