MES SOUVENIRS AVEC CEUX DE LA 11EC, de 1965 à 1967
(par un ancien chef de quart de l’approche de Colmar)
Plus que des anecdotes, ces souvenirs sont une évocation de l’activité aéronautique de l’Armée de l’Air, dans l’espace aérien de l’Alsace du sud entre 1965 et 1967. Deux escadres de chasse française séparées par le Rhin s’y entraînaient intensément à leurs missions de guerre respectives dans un esprit de compétition exacerbée. Toutes deux disposaient d’un encadrement de grande qualité qui avait acquis expérience et combativité dans des conflits où ils étaient sortis vainqueurs. Ces hommes remarquables, commandant d’escadrille, commandant d’escadron ou commandant d’escadre qui furent un peu plus tard mes chefs forgeront une aviation de combat exceptionnelle dont les appareils interviendront victorieusement dans de multiples parties du monde. J’ai pris du plaisir à citer certains noms, car ils ont fait partie de ma vie militaire.
Lieutenant du corps de Bases de l’Armée de l’Air, promotion 1962 de l’École de l’Air, à la sortie de Salon j’avais choisi la spécialité de contrôleur de circulation aérienne désirant être au plus près des avions et des pilotes. Je suis affecté à ma demande le 10 décembre 1965, au contrôle local d’aérodrome (C.L.A) de la B.A.132 de Colmar-Meyenheim au titre d’officier contrôleur d’approche.
Je sortais de ma période de spécialisation qui s’était déroulée à l’École Nationale de l’Aviation Civile qui à l’époque était installée à Orly. Ma connaissance de l’Armée de l’Air était superficielle, pendant ma formation je n’avais connu que les bases aériennes de Salon, Cazaux, Mont de Marsan, Cognac et Étampes. Aussi lors de visites organisées par notre centre de formation nous avions pu nous renseigner sur notre futur travail et je fus littéralement conquis par l’importance guerrière de la B.A.132 et son contrôle d’aérodrome. C’était un autre monde que celui qui existait sur les autres bases aériennes que j’avais connu, nous sortions de la guerre d’Algérie et l’Armée de l’Air fonctionnait alors à deux vitesses : l’une regardait devant elle vers l’Est et l’autre regardait maintenant derrière son épaule, vers le Sud. Lors de notre amphi-garnison mon rang de sortie me permit de choisir parmi la dizaine de bases proposées celle qui m’avait le plus impressionné.
Les approches des bases aériennes du Commandement Tactique étaient modernes, toutes équipées d’un radar (RAdio Detection And Ranging) panoramique, le S.R.E. (Search Radar Equipment) qui pour faciliter l’identification des aéronefs comprenait un radar secondaire, signal électronique émis par l’avion, l’I.F.F (identification ami ennemi) qui codé devenait le S.I.F.. Le reste des approches françaises avaient encore les goniomètres de la seconde guerre mondiale, le gonio axial était disposé sur le terrain et le gonio ”flanquer” ou latéral, armés par quelques opérateurs isolés se trouvait à une dizaine de kilomètres de la base. L’identification des avions était assurée par le croisement sur la table traçante des deux faisceaux lumineux maniés manuellement et dont les données provenaient des relevés des deux gonios transmis téléphoniquement, vestige de la deuxième guerre mondiale.
Un chasseur-bombardier impressionnant Le F 100.
Très vite je fus confronté aux caractéristiques aéronautiques des F 100 Super-Sabre stationnés sur la B.A.136 de Bremgarten, située tout à côté, en face, de l’autre côté du Rhin. Bien que leurs missions d’entraînement s’effectuaient essentiellement en basse altitude. Cependant, certaines de type haut-bas-haut ou lors de missions plastron (chasseur ami servant de cible d’exercice) au profit des chasseurs de D.A. transitaient par notre intermédiaire à destination notamment de la station radar de Contrexeville. L’approche de Bremgarten n’ayant de liaison directe qu’avec l’autre station radar ”du secteur” Drachenbronn récemment inaugurée en 1964. La mission secondaire de la 11 était l’interception de jour.
De temps en temps, nous recueillons à l’approche de Colmar certaines patrouilles de F 100 D monoplace et F 100 F biplace de la 11 qui venant de France (de l’intérieur comme on disait en Alsace) qui préféraient ”percer” (traverser la couche de nuage) avec nous pour ensuite rejoindre directement leur base soit en basse altitude à vue, soit par ”hand-over” ou transfert d’approche à approche entre Colmar et Brem…
Parfois nous recevions la visite d’autres F100 super sabre français, il s’agissait de ceux de la 3e EC en provenance de la base aérienne 139 de Lahr située de l’autre côté du Rhin en face de la B.A. 124 de Strasbourg, mais c’était peu courant. Et nous avions régulièrement les déroutements des appareils de chasse de nos autres bases de l’Est, F84F, RF84, mystère IV et mirage IIIR qui pour des raisons techniques concernant soit les avions, soit l’état de l’infrastructure de leur terrain ou à cause de l’aggravation brutale de la situation météorologique de leur base de stationnement, étaient dirigés sur notre plate-forme. Pour la 11, les déroutements étaient dus à des raisons techniques, essentiellement des ”engagements barrière”, car entre les deux plateformes très poches, à une dizaine de nautiques seulement (une vingtaine de kilomètres), la situation météo était identique et souvent favorable à cause de l’effet de ”foehn” qui relevait le ”plafond” (sommet de la couche nuageuse) grâce à la présence du massif vosgien.
C’est ainsi que j’ai pu véritablement contempler cet oiseau métallique mythique qui avait écrit son histoire au Vietnam, impressionnant par ses dimensions comparées à celle des Mirages certes élégants mais qui semblaient fragiles à côté de ce croiseur des airs qui dégageait une impression de puissance.
Avec le F100, le plus impressionnant était le décollage, car, pour atteindre sa vitesse critique décollage, le F100 devait utiliser sa ”military power” ou ”post-combution” ou P.C. Les vieux pilotes de F100 qui avaient été ”lâchés” par des instructeurs U.S utilisaient souvent doctement le terme de military power. Au ”top décollage”, les F100 ouvraient l’écoulement du carburant nécessaire à l’augmentation de puissance, les volets de la tuyère à l’arrière du réacteur se refermaient et pour nous spectateurs attentifs nous entendions tout d’abord une détonation brutale très forte (par condition de vent favorable nous pouvions entendre les détonations des P.C des F100 au décollage de Brem). Puis c’était un vrai feu d’artifice qui éclairait l’arrière de l’avion, la couleur était principalement mauve entourée de deux anneaux lumineux caractéristiques et se terminait par un panache d’une dizaine de mètres de couleur rougeâtre. Comme toujours, l’avion quittant le sol, le bruit cessait brusquement et le feu arrière s’éteignait aussitôt.
Un décollage de F100 était donc toujours spectaculaire et attirait tous les regards.
Les F100 n’avaient pas des moyens de transmission exceptionnels, son poste radio principal était un U.H.F américain (Upper High Frequency) qui était souvent en panne. Heureusement il disposait d’un deuxième poste radio mais, celui-ci était un V.H.F (Very High Frequency) à canaux présélectionnés, ce poste secondaire était de faible puissance, il représentait un cauchemar pour les contrôleurs.
Les F100, pour assurer leur mission principale de pénétration en basse altitude volaient toujours avec des bidons supplémentaires et les contrôleurs les considéraient comme des appareils qui ayant beaucoup de ”pétrole” ou carburant, n’avaient donc pas la priorité pour l’approche. Mais lorsqu’ils étaient en configuration lisse, sans bidons extérieurs supplémentaires, ce n’était pas la même chose et je me souviens des remarques répétées de certains cadres inquiets de la 11 qui nous rappelaient qu’avec cette configuration le F100 n’avait pas plus de carburant que les Mirages, ce qui voulait dire pas beaucoup.
L’alerte permanente.
Pendant les premières années de mon affectation à Colmar, notre pays faisait encore partie de la structure intégrée de l’O.T.A.N. et notre rythme opérationnel était intense. Dans les escadres, et les escadrons de chasse il régnait alors une odeur de combat et les pilotes étaient des guerriers. La grande majorité d’entre eux avaient été engagés dans les opérations aériennes d’Algérie, certains d’entre eux y avaient été marqué dans leur chair. Le commandant Jean Bonnet, ancien commandant du 1/3 de Lahr sur F100, était chef des opérations de la 13e escadre en 1965, il avait eu en Algérie son avion touché et qui avait pris feu en vol, il parvint à crasher son T6 et se dégager brûlé à 50%, il finit sa carrière comme général à la Direction du personnel militaire de l’Armée de l’Air, où il fut de nouveau mon chef alors que j’étais le sous-chef du 2e bureau de cette direction (bureau des sous-officiers). De même, le commandant du CEVSV, unité navigante stationnée alors à Colmar, le commandant Le Noury, portait également les marques de brûlures sur tout un côté du visage et du corps. Claude Le Noury sera commandant de la base de Colmar en 1977. Beaucoup de ces navigants avaient effectués en plus, en 1956, des missions de guerre au-dessus du territoire égyptien qui vit plusieurs de nos escadrons de chasse intervenir pour la reconquête du canal de Suez. Sur ces deux théâtres d’opérations, ils étaient sortis vainqueurs mais on leur avait volé leurs victoires, alors ils continuaient le combat. L’odeur de la guerre était présente partout, à commencer par la tête de notre commandement, le général commandant la Fatac-1ere RA, ancien de l’École de l’Air, promo 1938, était parmi les ”as de guerre” il nous commandait 20 ans après la fin de la guerre, il était titulaire de 9 victoires aériennes et de 13 citations. Son indicatif ”maquis 01” semait la terreur parmi les contrôleurs d’aérodrome, à chaque passage sur une base, le contrôleur de service prenait systématiquement 8 jours d’arrêt, par principe, aussi nous avions décrété un tour pour permettre à tous d’avoir le plaisir de signer au bas de la page de sanction.
Dans cette ambiance tendue, les alertes succédaient aux alertes et les exercices plus ou moins importants venaient agrémenter notre travail. Le classeur qui décrivait tous les exercices, les CPX (Consignes Permanentes d’Exercices) était d’une belle épaisseur.
Je me souviens par exemple de l’exercice ”roulette” qui était toujours déclenchée à des heures impossibles surtout au milieu de la nuit par des officiers sadiques. Il consistait à faire rouler les avions d’alerte jusqu’en bout de piste où était relevé le temps de réaction. Pour le plaisir, les responsables de ces exercices poussaient parfois la plaisanterie à poursuivre la manœuvre par un autre exercice qui exigeait le décollage. Alors, au cours d’une nuit noire, imaginez l’angoisse du pilote de la 13 qui avait décollé en pyjama négligeant sa combinaison de vol croyant en un retour rapide dans les bras de Morphée et qui propulsé dans les airs sur son moderne destrier se voyait accueilli par des camarades chasseurs hilares stationnés sur une autre plate-forme au mieux française mais qui aurait pu être alliée. Le terrain de Ramstein en Allemagne, ainsi que celui de Neubourg dans une moindre mesure, étaient l’un des terrains préférentiels des déroutements imposés en vol par Aircent aux Mirage III. A l’époque Ramstein Air Base, du district de Kaiserslauten au Nord de Strasbourg, était la principale base de chasse de l’USAFE. Toutes les communications radio se passaient en anglais, cette procédure était obligatoire et ne demandait aucune peine pour les cadres P.N. formés par des instructeurs U.S. Mais quand nous quittâmes l’Otan et du jour au lendemain sur un ordre, nous devions parler français et que le français. Quelques années plus tard, le retour à la procédure anglaise fut difficile aussi bien pour les pilotes que les contrôleurs. J’étais alors à Dijon et mon commandant de base le Colonel Jacques Bourillet qui avait été brigadier de promotion à Salon lorsque j’étais élève, puis ancien commandant d’escadron du 1/11 sur F100 en 1965, avait payé, sur ses crédits instruction, à mes contrôleurs, pendant deux ans de suite, des cours d’anglais hebdomadaires de deux heures de conversation, qu’un professeur civil venait nous dispenser à la tour de contrôle tous les mercredi matin pendant la matinée réservée à l’instruction. Nous acquîmes rapidement tous le Cmlp un ou certificat militaire de langue parlé du premier degré d’anglais et certains furent reçus au deuxième degré. Rendons un hommage bien mérité au Général Michel Forget notre chef à la Fatac, d’avoir compris que seule la pratique pouvait nous faire progresser. Il avait réussi à convaincre son homologue de l’USAFE que les échanges de contrôleurs US et Français ne pouvaient être que bénéfiques pour nos deux armées. Pendant quatre ans, les contrôleurs des CLA de la Fatac iront à tour de rôle passer trois semaines dans les tours de contrôle US d’Allemagne. Nos progrès furent immédiats, la motivation accrue et pour les contrôleurs US ce fut de bonnes vacances, surtout gastronomiques très appréciées par des sous-officiers majoritairement d’origine mexicaine.
La valse des codes.
Les navigants d’aujourd’hui pensent que les indicatifs codés des escadres et des escadrons étaient permanents, il n’en était rien. Sous les ordres du 1er Catac tous les premiers de chaque mois nous procédions à la redistribution de ces indicatifs entre toutes les escadres et escadrons rattachés. Et pour faire bonne mesure c’était en même temps la redistribution des fréquences particulières U.H.F des tours de contrôle et des quatre fréquences attribuées à chaque approche du commandement tactique. Chaque base aérienne, chaque centre de contrôle étaient nommés par un nom codé sans relation avec son implantation géographique et que personnel navigant et contrôleur devaient impérativement utiliser, ce code tournant changeait également le 1er de chaque mois. Je vous laisse imaginer le désordre radiophonique de chaque 1er de mois. Les ordres correspondants étaient tombés dans la nuit, donc en général, cette matinée du premier de chaque mois était une période de ”no fligth” car il fallait laisser le temps à la section photo de tirer les fiches de renseignements emportées en vol par les pilotes qui indiquaient codes terrains et fréquences radio à utiliser. Cette valse des codes perdura quelques mois après que nous ayons quitté l’OTAN et puis un jour tout cessa et les escadrons conserveront pour longtemps le dernier code tournant qui leur fut attribué.
Plein de sollicitude à notre égard, les officiers de la 4e ATAF voulaient s’assurer de notre constante disponibilité et de notre faculté d’adaptation. Pour cela, ils avaient une manœuvre préférée c’était ”l’évaluation opérationnelle” uniquement tournée vers le côté opérationnel, la Fatac repris cette habitude qui devint une ”évaluation tactique” plus générale, mais sans jamais atteindre le réalisme otanien. Donc, régulièrement nous recevions la visite d’une vingtaine d’officiers alliés avec un majorité d’officiers belges qui entendant le français étaient plus particulièrement chargés de découvrir les ”adaptations” françaises au règlement interallié. Bref, le réalisme était toujours présent, en salle d’approche quand le chef de quart se voyait remettre une fiche lui indiquant que son radar de détection était en panne, ce n’était pas simplement une indication car l’officier évaluateur se faisait un malin plaisir à éteindre tous les ”scopes” (écrans) de la salle de contrôle. Si l’approche avait des appareils en compte et c’était toujours le cas ou alors il n’y aurait pas eu de plaisir, il devait prendre les bonnes décisions en liaison avec le directeur des vols : soit il assurait le guidage par les autres moyens restant à sa disposition soit il procédait au déroutement. En ce temps-là on déroutait beaucoup et chaque mess-officiers de la Fatac mettait à la disposition des pilotes voyageurs le ”kit propreté” du Robinson aviateur consistant en savon pour la douche, le gant de toilette et les serviettes, la crème à raser et le rasoir, la brosse à dent et le dentifrice. Nos chevaliers du ciel étaient reçus comme des petits rois.!!! ils y prenaient goût et revenaient souvent.
Enfin, à chaque évaluation nous jouions le grand jeu du desserrement et toujours après un ramassage général du personnel au cours de la nuit. Le nombre important de bus affectés aux bases aérienne était la conséquence de ces alertes et de la nécessité de procéder à la récupération de l’ensemble des personnels logés et regroupés principalement dans les regroupements d’habitations, les fameuses cités militaires construites en même temps que les nouvelles bases aériennes mais qui se dégraderont rapidement par manque d’entretien de l’organisme de gestion, la SNI (Société Nationale Immobilière), pourtant émanation de l’État, une anomalie.
Parfois ce desserrement était un vrai déplacement, en réalité c’était un déménagement complet, la 13 EC rejoignait son terrain de Belfort Fontaine (90). Les échelons précurseurs des escadrons mais aussi des opérations et donc du contrôle d’aérodrome avec sa salle d’approche sous tente, son radar (SRE) et son radar de précision atterrissage (PAR) prenaient la route en convoi. Le dernier desserrement de mirage IIIC à Belfort eut lieu en 1964, je ne l’ai pas connu mais j’en ai connu plusieurs semblables ailleurs. En particulier la base de Colmar disposait près de son dépôt de munitions de Munchhouse d’une piste de secours sous la forme d’une portion de route rectiligne située à 5 kilomètres au sud-est de la BA 132 au milieu des champs et se terminant par des alvéoles cachées dans la forêt de la Hardt (j’y ai fait une récolte fabuleuse de cèpe). Lors des exercices, les chasseurs étaient tractés depuis la base en utilisant les routes existantes jusqu’au lieu secret de stationnement. En 1967, lors d’un exercice, le contrôle local y avait installé une vigie mobile qui était sa jeep-radio-follow-me qui servait principalement de véhicule d’inspection de piste. Très rapidement après son arrivée le service incendie de piste avec la grue servant éventuellement à l’extraction du pilote de l’avion craché étaient mis en alerte, de même que l’ambulance de piste du service médical avec médecin à bord, c’était le temps heureux où les armées pouvaient disposer d’appelés nombreux et dévoués. On donna alors l’autorisation de décollage à une patrouille de F100 du 3/11. Tout cela était parfaitement huilé, les difficultés hiérarchiques avaient été aplanies, il faut dire que du temps de l’OTAN, les moyens opérationnels étaient rattachés à l’escadre et en conséquence les contrôleurs du CLA portaient l’insigne de leur escadre. Pilotes et contrôleur avaient le même chef. J’appartenais donc à la 13e EC dont je portais fièrement l’insigne.
Le terrain de Colmar avait une place prépondérante dans le dispositif de l’A.D. (Air Defense) ou Défense Aérienne de la 4e A.T.A.F (4th Allied Tactical Air Force) du théâtre Centre-Europe de l’OTAN. Pour notre Armée de l’Air, les opérations aériennes d’entraînement étaient dirigées par le 1er CATac (1er Commandement Air Tactique) pour l’Europe et par le 2eme CATac pour les opérations extérieures dépendant du commandement des forces aériennes tactiques qui devint FATac/1er R.A. le 1er mai 1964.
Bref, Colmar était le terrain de stationnement de deux escadrons de défense aérienne qui avaient pris le qualificatif de ”tout temps” lorsqu’ils avaient reçu des F-86K équipé d’un radar de bord, qualification confirmée avec ses deux escadrons 1/13 Artois et 2/13 Alpes équipés des tous récents Mirage III E. Je me souviens de la grande personnalité de deux commandants d’Escadron du 2/13, le premier qui avait eu son commandement en 1965 était le capitaine Gérard Arnaubec, plus tard, il fut mon supérieur direct comme chef des moyens opérationnel de la base de Dijon après avoir commandé la 10e EC. Le second qui lui succéda au 2/13 en 1966, était le capitaine Étienne Copel, en campagne de tir à Cazaux, il avait pris de son temps pour venir assister à mon mariage à Arcachon. Curieusement ces deux officiers furent amenés à quitter précocement l’Armée de l’Air à cause de leurs témoignages et de leurs réflexions. Le premier qui avait fait paraître un livre sans autorisation, sous le pseudonyme de Spartacus ‘‘Les documents secrets, Opération Manta, Tchad 1883-1984”, fut condamné pour divulgation de secrets d’État ? et emprisonné. Affecté à Balard à cette époque, je me reproche de n’avoir pas essayé de le revoir, car c’était un homme intègre et un grand chef, toute l’Armée de l’Air l’a banni et abandonné. Étienne Copel fut une personnalité forte de cette nouvelle Armée de l’Air, toujours premier en tout, il largua la première bombe nucléaire tactique à Mururoa à partir d’un Mirage III E, le 28 août 1973, alors qu’il était commandant de la 4e EC. En 1981 il fut le plus jeune général en activité, en 1984 alors sous-chef d’État-major de l’Armée de l’air, il démissionna de son poste pour pouvoir s’exprimer librement sur sa conception de la politique de défense de la France. Il publiera alors son premier livre ” Vaincre la guerre” et poursuivra jusqu’à ce jour une carrière politique. Incompris par ses pairs qui voyaient surtout son départ de l’Armée de l’Air comme l’élimination d’un redoutable concurrent, il fut marginalisé. Chapeau mon général!!!
LE CEVSV 338 à Colmar
Était également stationné sur le terrain de Meyenheim, une unité particulière le ”CEVSV” 338 ou Centre d’entraînement au vol sans visibilité qui faisait passer ”la carte blanche” pour les équipiers et ”la carte verte” (qualification au VSV) à tous les chefs de patrouille de l’Armée de l’Air et de la Marine. Il disposait alors d’une dizaine de T 33 U.S pour cette mission (altimètre en pouce comme tous les appareils d’origine U.S.). Le contrôle se devait d’anticiper dès le premier contact radio et donner la bonne pression atmosphérique du terrain, le QFE, en millibars pour les appareils de construction française et en pouces pour ceux provenant des USA, d’où l’importance de connaître par cœur les indicatifs escadrons et donc le type d’avion qui se présentait en approche. Cette unité avait un magnifique insigne peint sur le fuselage, il représentait un diable montrant au pilote une carte blanche dans sa main droite et une carte verte dans sa main gauche ou l’inverse. Ces ”T. Birds” étaient équipés du nouveau moyen de navigation le T.A.C.AN. qui affichait azimut et surtout distance et qui était celui des chasseurs modernes F 100 et Mirage III E. Le TACAN (TACtical Air Navigation) est un système de navigation militaire qui permet à un avion de se situer par rapport à une balise en distance et en direction. Lorsqu’un contrôleur annonce sa position à un chasseur, le pilote qui reçoit les mêmes données fournies par l’écran de son tacan à bord, est tout de suite rassuré sur la bonne identification. Afin de pouvoir assurer ce contrôle et notamment les évolutions inusuelles avec tonneaux et barriques du stagiaire en place arrière sous capote, une unité de contrôle et de surveillance spécifique avait été créé à l’approche de Colmar, qui avait l’indicatif de ”Mira” et qui possédait son propre espace aérien réglementée (restricted aera) située au-dessus de la Forêt Noire et du terrain de Bremgarten. Cette zone réglementée dévolue au contrôle français en territoire allemand était un reliquat des droits issus de l’occupation du territoire allemand par les forces militaires françaises. Les pilotes moniteurs de cette unité officiers et vieux sous-officiers étaient tous des navigants de grande expérience, nous les avions souvent au téléphone pour débriefer leurs vols, ils recherchaient toujours la perfection et la diffusion de leur expérience. Nous devions faire du contrôle final au degré près !!!, j’en rêve encore. Pour les stagiaires, ce contrôle d’aptitude était une remise en cause de son professionnalisme. Ils abordaient cette semaine de vol le plus humblement possible, elle consistait en trois vols d’instruction et un quatrième vol pour l’examen, le jeudi. Pour les recalés le vendredi était un vol de repêchage. Chaque vol entièrement sous capote consistait d’abord en évolutions en panneau partiel : sans horizon artificiel ni conservateur de cap, puis en positions inusuelles, ensuite venait la partie entraînement au VSV, l’avion devait faire une QGH (percée par passage à la verticale du terrain) à l’aide du radiocompas ou du Tacan, complété par un GCA, une remise de gaz pour un nouveau GCA avec atterrissage, chaque vol durait environ une heure et demi. J’ai vu défiler et contrôler tous nos pilotes-chasseurs, pour nous les jeunes contrôleurs, c’était une formidable école de formation. Débutant, profitant de mon inexpérience, l’un de ces moniteurs me donna une leçon qui est encore gravée dans ma mémoire. Je contrôlais donc un T33 qui avait remis les gaz après une finale GCA et qui se présentait pour une nouvelle finale avec atterrissage, je lui ordonnais un nouveau cap (direction) sans indication de sens de virage. La procédure correcte était : ” à gauche cap 200” et non pas ”cap 200”, le pilote confirma l’ordre et presque immédiatement annonça avoir exécuter l’ordre, incrédule le plot de l’avion était au même endroit, il n’avait pas bougé et pour le faire revenir sur l’axe, je lui donnais un nouveau cap. Le moniteur intervint pour ironiquement demander confirmation de cette succession de caps. J’avais compris, le T 33 avait fait un looping, j’eus droit à un débriefing sanglant, mais je n’ai plus donné de cap sans indiquer le sens à prendre. J’évoque, la personnalité étonnante d’un adjudant-chef moniteur de cette unité, l’adjudant-chef Toussaint, tout le monde le craignait, il faisait trembler jeunes pilotes, contrôleurs et mécaniciens. Comme il avait été le moniteur de presque tous les commandants d’escadrille et d’escadron, il avait une aura telle que peu de personnes osaient lui demander des comptes. Il connaissait parfaitement le fonctionnement de son avion, toujours avec le tournevis dans sa tenue de vol, il lui arrivait de démonter en vol le tableau de bord et de résoudre la panne en vol. Lors de vol de navigation, il démontrait à certains de ses élèves comment l’on pouvait augmenter la distance de vol d’un appareil. Cette manœuvre consistait à couper le réacteur en haute altitude, restons sérieux avec le T33 disons 30 000 pieds et à planer, puis en basse altitude rallumer le réacteur (il faut avoir confiance en son matériel) et recommencer la manœuvre. Il nous fit un jour un vol de plus de quatre heures, ces démonstrations seront arrêtées par un général stagiaire sans humour qui n’avait pas apprécié cette technique d’allonge. Les minimas étaient théoriquement de 200 pieds, mais je n’ai jamais dérouté un T33 du CESVS pour QGO (météo inférieure aux minimas), c’était de sacrés pilotes et ils avaient confiance en nous. Mais ils nous maintenaient la pression, le même moniteur, célibataire endurci, dormait très peu et la nuit faisait du bricolage dans sa chambre. Pour vérifier que nous tenions correctement la veille, la nuit pendant les alertes, il nous contactait sur le canal radio de la vigie ou de l’approche avec son indicatif personnel pour demander les éléments météo, à par exemple à trois heures du matin !!! cela motive.
Les exercices d’interception et d’arraisonnement.
La frontière ennemie, était à ”une étape du tour de France” de notre propre frontière nationale comme l’avait dit le Général de Gaule et comme la base de Meyenheim était sur notre frontière de l’Est, l’alerte D. A. s’y tenait H 24 et à deux avions à 5 minutes et 2 avions à 15. Pour assurer nos missions, l’approche de Colmar disposait de deux radars de recueil, le bien connu S.R.E (search radar equipment) en service dans presque tous les C.L.A. de France et un autre système de radar d’origine américaine composé d’un radar panoramique le M.P.S. 11 et d’un radar d’altitude à balancement le M.P.S.14. Ces radars étaient les éléments restants des stations de guidage des missiles tactiques Nike des unités de l’Armée de l’Air stationnées à Friedrichshafen pour la 501e brigade d’engins française et à Stetten pour la 500e brigade. Nous étions donc une approche très bien équipée et donc très sollicitée et en outre nous servions systématiquement de terrain de dégagement (déroutement) éventuel pour les appareils des forces aériennes stratégiques.
Les nuits étaient longues. Aussi incroyable, je vois que vous en doutez, pendant trois années ma moyenne horaire de présence à l’approche de Colmar fut de 72 heures par semaine… Notre record de mouvements pour un aérodrome militaire avait atteint le chiffre de 319, sachant qu’un espacement de trois minutes entre deux mouvements d’appareils à réaction est indispensable et minimum pour éviter les turbulences, le décrochage à l’atterrissage et la libération complète de la piste pour les décollages, vous pouvez constater que l’on ne pouvait pas faire beaucoup mieux. Notre plate-forme était considérée comme sûre pour le recueil d’appareils de tous types.
Une odeur de poudre.
Donc, en ces derniers jours de 1965, l’alerte DA à Colmar était tenu par deux Mirage IIIC de la 2e EC de Dijon, car la 13, qui venait de toucher à partir de mai 1965 ses premiers Mirage IIIE, n’était pas encore qualifiée ”alerte DA” par la 4e ATAF (la disponibilité de ces avions neufs bourrés d’électronique était très faible comme toujours en pareil cas). C’était une fin de matinée si mes souvenirs ne me trahissent pas, soudain nous entendîmes un appel sur la fréquence commune de l’OTAN, la Gold 1 où fréquence de ”garde” un message automatique d’alerte : ” Brass Monkey”. Cette annonce répétée plusieurs fois nous avait préparé à un événement futur, elle prévenait le pilote d’un appareil navigant cap à l’est qu’il avait pénétré dans la zone tampon ou A.D.I.Z. (Air Defense Identification Zone) et que poursuivre selon cette trajectoire pouvait conduire à un incident diplomatique avec les pays du Pacte de Varsovie soit au pire au déclenchement de la troisième guerre mondiale.
Encore quelques minutes et la sirène retentit dans notre salle d’approche et à la Vigie nous prévenant du déclenchement d’un décollage sur alerte. Le directeur des vols confirme par haut-parleur le ”scramble” de nos deux avions d’alerte.
Dans toutes ces histoires on ne fait rien pour simplifier la vie du contrôleur, la zone d’alerte est toujours située sur le côté en fin de la piste d’atterrissage préférentiel, soit à Colmar la piste 20 (pour un cap 200). Les avions d’alerte vont devoir décoller en Contre-QFU (le code Q est un code de l’aviation internationale qui signifie sens d’atterrissage, ici dans notre exemple le QFU est 20), mais à condition que le vent contraire ne soit pas supérieur à 10 nœuds, ce qui était très rarement le cas.
Pour décoller et se diriger en montant selon le cap requis par les ordres d’opérations en toute sécurité il appartient au contrôle (Vigie et approche) de dégager l’espace aérien devant les avions en ”scramble” (décollage sur alerte) et ce n’est jamais une chose simple pour un contrôle toujours surchargé de trafic et avec des pilotes toujours pressés de se poser dans ces cas-là.
Mais, ça passe toujours pour les ”hots”, pour les ”practice” (décollage sur alerte en exercice) le contrôle a très souvent interdit ces décollages en Contre-QFU, après une passe d’arme avec la direction des vols, car il était le seul à pouvoir juger de la situation instantanée régnant parmi les ”short” pétrole.
La situation est très intéressante mais que deviennent nos F100. Un peu de patience j’y viens.
PC maintenu allumée, nos chasseurs rentrent le train, prennent le cap 080 vers l’Est et contactent la console ”montée” du contrôle local, lequel après identification de leur écho radar les autorisent à poursuivre leur ascension vers un niveau de vol (F.L.) plus élevé. En salle d’approche on s’active, le contact téléphonique avec la station radar de défense et de surveillance aérienne allemande de Mestetten, a été réalisé, ce dernier identifie nos chasseurs et le ”hand-over” peut donc s’effectuer, nos Mirage III passent sur la fréquence du contrôleur allemand. C’est fini pour nous, la routine reprend mais le directeur des vols qui a une grande expérience fait en sorte que nos avions en vol regagnent au plus vite la plate-forme. Le temps passe vite et peut être 15 minutes environ après le scramble, le contrôle de Mestetten nous rend la patrouille. Le contact radio est difficile, les deux avions échangent des messages dont la signification nous semble étrange. La patrouille demande priorité pour l’atterrissage, elle encadre deux avions arraisonnés, l’approche est faite directement pour une arrivée à vue, le terrain étant vert (code couleur indiquant la possibilité de se poser à vue après une traversée des nuages). Tout le reste va se passer à vue, je viens de grimper quatre à quatre les quatre étages qui séparent la salle d’approche de la vigie de la tour qui contrôle le roulage au sol, les décollages et les atterrissages et j’aperçois en longue finale nos quatre avions. Les pilotes des Mirages échangent de multiples messages me faisant croire que les avions arraisonnés ne sont pas tout à fait coopératifs. Le premier Mirage est devant le premier ennemi que suis le deuxième, il sort le train pour indiquer l’ordre d’atterrissage, les deux avions ennemis que je vois mieux maintenant, sont métalliques, ils sortent chacun leur train, ils n’ont aucune marque distinctive peinte ni sur le fuselage ni sur la queue, pardon la dérive, ils ressemblent à tout cracher à des avions de construction soviétique, la tension monte. Le second Mirage est derrière, il n’a pas sorti son train, il surveille et menace de ses armes de bord les intrus contre toute manœuvre intempestive. La tour donne les autorisations d’atterrissage doublées par deux fusées de couleur verte… et… en très courte finale, une double détonation confirme le déclenchement des P.C. des inconnus qui rentrent le train accélèrent brutalement virent brusquement à gauche au ras des pâquerettes, c’est à dire en frôlant le toit de la tour pour prendre un cap à l’Est. Par radio nous informons nos chasseurs, surtout le premier qui ne pouvait voir la manœuvre des ennemis. La réponse est claire est sans appel : ”short-pétrole” and full stop (atterrissage).
Pendant quelques minutes nous nous sommes pris au jeu de la guerre et nous sommes déçu du résultat, c’est un échec de nos chasseurs et une victoire des ennemis qui n’étaient autres que deux F100 de la 11. Des traîtres !!!
Régulièrement nous devions contrôler des F100 de la 11. C’était souvent un des premiers vols d’un jeune pilote qui venait se familiariser avec son nouvel avion et avec son terrain de déroutement de prédilection.
La France quitte l’OTAN.
Toutes ces relations étaient bien ordonnées mais un événement politique va briser nos habitudes. Le 21 février 1966, le Président de la République, le général de Gaule fait savoir que La France va se retirer du commandement intégré de l’OTAN. La fin de la subordination des forces françaises à l’OTAN est fixée au 1er juillet 1966, mais le retrait des bases alliées en France s’échelonnera du 1er avril 1966 au 1er avril 1967, ce qui décalera le retour dans l’hexagone des escadrons français en Allemagne.
La 11e EC était particulièrement concernée et devra quitter Bremgarten. Ce déplacement sera préparé en amont et l’escadron 3/11 Corse nouvellement crée le 1er avril 1966, va faire un mouvement préalable sur Colmar Meyenheim au cours du mois de juin 1966. Ce sont les 17 F100 de cet escadron qui s’installent sur la ”marguerite” sud-est de la base de Colmar Meyenheim. Sur une base aérienne une marguerite est une aire de stationnement pour aéronefs disposée selon le dessin d’une marguerite avec de 15 à 18 pétales chacune pouvant recevoir 2 chasseurs et au centre de cet ensemble il y avait un hangar pour la ”mécanique”. Ces F100 étaient la propriété de l’état français qui les avait achetés à la différence des autres F100 qui étaient prêtés à la France par les États-Unis. Le PC (ici il s’agit du poste de commandement) de l’escadron était installé dans un abri antiatomique enterré à proximité qui était équipé de tous les moyens téléphoniques nécessaires au fonctionnement des ”OPS” ou opérations. Cependant, c’était du camping, car il n’y avait pas d’installation en dur, seules quelques tentes apparaissaient çà et là pour protéger les mécanos, ainsi qu’une grande remorque US qui se dépliait sur les côtés, certes, confortable qui servait essentiellement aux préparations des missions.
Une remarque sur les caractéristiques des bases types de l’OTAN qui doit être oubliée à ce jour. Sur les 17 nouvelles bases construites pour l’OTAN, l’infrastructure se présentait de la même manière : une piste de 2 400 mètres utiles, un taxiway ou chemin de roulement et 3 marguerites. Ces taxiways de même longueur que la piste mais moins large servaient de piste de secours pour le décollage et l’atterrissage pour un seul chasseur alors que deux réacteurs pouvaient utiliser la piste principale en même temps. La caractéristique commune était la distance strictement la même pour tous les terrains entre la piste et le taxiway afin de pouvoir faire un atterrissage mauvais temps avec le G.C.A. sur ce taxiway. Les approches d’aérodromes avaient un seul radar d’atterrissage le P.A.R qui permettait au contrôleur de guider l’appareil en finale jusqu’à ses minimas. Or ce radar avait été conçu pour permettre le guidage de ces finales sur l’axe de piste mais aussi sur l’axe du taxiway dont les écartements étaient standards.
Le Closing Pattern.
Ces radars d’atterrissage ne fonctionnaient que dans le QFU préférentiel. Alors quand le vent était contraire et le terrain classé code couleur ”Vert” (ou atterrissage possible à vue), les appareils étaient amenés en vue du terrain, sous la couche de nuages afin de passer directement ”vent arrière” et de poursuivre en dernier virage pour l’atterrissage dans le QFU en service. Mais si le terrain était couleur ”Jaune”, (atterrissage mauvais temps) nous appliquions une procédure spécifique appelé le ”closing pattern”, non traduit en français certainement un truc de cow-boy. Elle permettait un atterrissage avec 500 pieds de plafond seulement, le guidage radar se faisait jusqu’à 500 pieds en contre-QFU, sur ordre, le pilote ouvrait à droite de 20 degrés en maintenant l’altitude, alors il devait rechercher à vue les points caractéristiques au sol en l’occurrence la station d’essence qui était le point de début du dernier virage. Cela marchait et cela évitait les déroutements mais cette procédure était réservée aux seuls initiés du terrain. L’affectation d’un nouveau radar d’atterrissage le S.P.A.R (Sligth P.A.R) utilisable dans les deux sens d’atterrissage supprima la pratique du ”closing pattern”. Cependant la disparition des P.A.R vieillissant interdit les atterrissage type G.C.A sur le taxiway.
Le 3/11 à Colmar
L’ambiance était chaleureuse, le personnel avait reçu des consignes, il n’était pas chez lui, mais de passage. Cependant les échanges entre pilotes des autres escadrons étaient parfois vifs lorsque tout le monde se retrouvait au briefing météo du matin. Chacun vantait les qualités supérieures de son vecteur, les appareils américains étaient supérieurs en tous points aux avions de construction française, les pilotes du 3/11 pouvaient compter sur l’appui des vieux moniteurs du CEVSV qui n’avaient volé que sur des appareils de conception américaine. En infériorité numérique, le pilote de Mirage ne pouvait faire entendre son point de vue. Je me souviens d’un argument sans appel des pro-américains qui affirmaient que dans le cockpit du F100 le pilote pouvait se permettre de déplier en vol tranquillement sa carte de Nav. Avant de partir faire son vol de navigation en basse altitude à vue, le pilote de Mirage devait avoir préalablement plié sa carte de manière scientifique s’il ne voulait pas se perdre. Sur notre base, on reconnaissait facilement un pilote de F100 d’un pilote de Mirage, le premier avait souvent une combinaison de vol usée, délavée, parfois trouée, et avec un blouson de vol qui tombait en lambeaux, alors que le chasseur de DA portait un équipement beaucoup plus neuf. Mais tout cela s’explique, les renouvellements de tenues de vol mais également ceux des tenues du personnel non-navigant, ne se faisaient qu’au compte-goutte, la priorité était ”tout pour les Fas” et si les chasseurs de la 13 avaient des tenues plus récentes ils le devaient à leur bel avion tout neuf que des personnalités extérieures venaient contempler. Quand on pense que des milliers de tenues et surtout des blousons de vol neufs avaient étaient détruits par le commissariat à Bou-Sfer (base aérienne d’Oran) en Algérie, parce que ce matériel commissariat ne faisait pas partie des priorités pour le rapatriement en métropole. Cela faisait rager tous ceux qui se gelaient sous les frimas de l’Est.
Les pilotes du 3/11 étaient inquiets de leur sort, depuis qu’ils avaient quitté l’Allemagne ils n’avaient plus de mission de guerre, l’avenir prouvera que cette inquiétude sera infondée, cet escadron aura un brillant avenir. En attendant les F100 servaient surtout de plastron (cible fictive) pour les autres escadres et se spécialisaient dans la formation de tous les jeunes pilotes affectés à la 11. L’ambiance générale était morose, malgré les encouragements à l’optimisme délivrés par le nouveau commandant d’escadron, le capitaine Roumilhac qui sera plus tard mon commandant de base de 1779 à 1781. Plusieurs anciens de la 11 furent mes commandants de base, je pense ici au colonel Desjobert, commandant d’escadron sur F100 au 2/11 en 1956-1958, et qui commandera Colmar en 1969.
Le 3/11 était temporairement stationné à Colmar-Meyenheim, les personnels attendaient impatiemment leur affectation définitive. Tous les matins les cars militaires amenaient les personnels du 3/11 en Alsace, les familles étant restés en Allemagne et tous les soirs après les vols les cars faisaient le chemin inverse. Quelques personnes de l’escadron utilisaient leur véhicule personnel et il y eut des accidents de circulation qui eurent des conséquences néfastes sur le moral général
La corvée de charbon.
Il s’agit des conséquences du ”Crash aérien dans le ciel de Rixheim”. Cet accident raconté par Frédéric Casarin par un article paru le 28 mai 2016 sur internet dans l’histoire de la 11e EC. Cela se passe en 1966, deux pilotes confirmés de la 11 se heurtent en vol quelques minutes après leur décollage de Brem en direction de la plaine d’Alsace. Ils s’éjectent, tombent à proximité de l’aérodrome de Mulhouse-Habsteim, et sont sain et sauf, les deux avions s’écrasent le premier sur Rixheim et le second sur la gare SNCF de l’île Napoléon. Il n’y a que des dégâts matériels plus conséquent à la gare. Les secours militaires et civils rapidement sur place, rencontrent un problème de sécurité. Les F100 étaient armés et les munitions sont encore actives, le casse-tête concerne l’énorme tas de charbon qui a accueilli les obus des canons des deux appareils. Ces obus ont pénétré profondément dans le charbon devenu dès lors inutilisable. Les dégâts commis aux biens des particuliers comme à ceux des entreprises sont tout de suite pris en compte et seront remboursés par le contentieux. Mais reste un problème de taille, le tas de charbon, il est invendable en l’état, on risque l’explosion d’un obus à la combustion. La SNCF et l’Armée de l’Air vont se mettre d’accord : la base aérienne de Colmar achètera le charbon de la 11, charbon dont elle a besoin pour le fonctionnement de sa chaufferie.
Alors, commence la dépollution du tas de charbon, les obus peuvent exploser si on les manipule brusquement, il va falloir faire le travail à la main et être patient. Tous les jours ouvrables, une section de militaires du rang quittent la BA 132 pour la gare de triage de Mulhouse afin d’effectuer cette dépollution qui durera une dizaine d’années !!!
Les huîtres d’Arcachon n’aiment pas l’altitude.
Les fêtes de fin d’année 1966 approchent et ici en Alsace elles sont particulièrement suivies. Sur la base de Colmar comme sur toutes les autres bases de l’Armée de l’Air, chaque unité se doit d’organiser un repas convivial, véritable rite de rassemblement coutumier au sein de l’Armée de l’Air. Il y avait deux très grandes fêtes, celle de la Noël et surtout celle de ”la Saint-Eloi” à l’origine fête des mécaniciens, cette dernière donna lieu à des exagérations qui conduisit à sa quasi suppression. L’Armée de l’Air eut à combattre une grave épidémie contractée en Indochine, puis en Algérie : l’alcoolisme, qui avait touché toutes les spécialités et tous les grades. Les aviateurs originaires du sud-ouest comme moi étaient nombreux au sein de nos bases aériennes de l’Est, pour eux un repas de fêtes comprend impérativement des huîtres que l’on ne trouvait pas facilement sur les marchés locaux, aussi il fallait aller les chercher à la source. Pour l’officier responsable de la restauration de la base 120 de Cazaux, cette période était riche en achats groupés d’huîtres du Bassin d’Arcachon, il reçoit des commandes venant de toutes les bases aériennes, car tous les pilotes de chasse sont passés par Cazaux ils connaissent le goût particulier de nos huîtres. Cet officier va stocker les bourriches dans les frigos de ses mess et chaque unité navigante va lui donner rendez-vous pour la veille de ses agapes.
Chaque escadre de chasse disposait d’un MD 312 (Marcel Dassault) Flamand affecté au titre d’appareil de liaison et d’entraînement à partir de 1963 et jusqu’en 1974. La 11 et la 13 chacune de leur côté vont donc utiliser cet appareil pour aller chercher les fameuses huîtres à Cazaux. Cet appareil étant qualifié IFR, la mission ne pouvait qu’être réussie, mais les bouches à nourrir étaient nombreuses sur les bases aériennes et certains avions de chasse étaient capable d’être configuré avec un bidon valise. Il n’y en avait pas pour le Mirage III, mais le CEVSV et le 3/11 avaient des bidons-valises, aussi les opérations de chaque unité avaient programmé un vol avec escale à Cazaux au titre de l’entraînement des équipages. En cette veille de fêtes tous étaient revenus en début d’après-midi seuls les deux F100 du 3/11 sont en retard et la météo se dégrade dans la vallée du Rhin. A l’approche de Colmar nous attendons la patrouille pour passer en quinze minutes, nous sommes le soir de Noël, elle doit nous rejoindre par un vol en COM.V (vol à vue en circulation opérationnelle militaire). Rien ne peut surprendre un contrôleur, la patrouille contacte l’approche, après identification il apparaît que les avions sont au sud-ouest pour une cinquantaine de nautique (90 kilomètres) environ, ils volent à environ 1000 pieds-sol et ils demandent le guidage vers le terrain, la pluie bouchant parfois l’horizon. Le contrôleur veut les faire monter plus haut pour dépasser la hauteur de sécurité au-dessus des obstacles que représentent le massif vosgien, fixée à 6500 pieds (2200 mètres), le chef de patrouille refuse expliquant que les huîtres du bassin d’Arcachon ne supportent pas l’altitude. Alors carte en main le contrôleur de service conseille la meilleure route à prendre pour la navigation basse-altitude de cette patrouille de F100. Les huîtres du 3/11 furent sauvées !!!
Nos peines.
Nous devions connaître un drame. Le crash d’un appareil du 3/11 au cours d’un exercice d’un vol plastron au profit des intercepteurs de la 13eEC interrompu pour cause de panne électrique.
Notre terrain étant temporairement déclaré technique pour panne du radar panoramique, selon la règle de la série des embêtements groupés, cet avion piloté par un des plus expérimenté de l’escadron fut pris en compte par l’approche de Bremgarten afin de brûler son carburant en basse altitude en faisant une série de G.C.A. d’entraînement (ground control approach) ou guidage par radar par un contrôleur pour un atterrissage de précision). Que s’est-il passé, nous ne le savons pas avec certitude, l’appareil a percuté le sol à proximité de la BA 136. J’ai mis ma chemise blanche pour la cérémonie, ce fut une des trop nombreuses cérémonies semblables que j’ai connu en unité. J’en suis marqué pour la vie.
Moins dramatique furent les quelques incidents concernant des appareils du 3/11 à Colmar, il y eu quelques engagement barrières dus à une vitesse d’atterrissage mal contrôlée, surtout sur piste mouillée, il est vrai que les freins du F100 étaient moins performant que ceux des Mirages après un peu d’aquaplaning.
Départ avorté.
Vint la date du départ du 3/11 annoncée depuis longtemps, reportée et maintenant fixée.
La 11e EC devait s’installer sur la base aérienne de Toul-Rosière laissé libre par l’U.S.Air Force. La rancœur de ces américains chassés de cette base qu’ils avaient édifiée était grande, ils faisaient pour les peuples libres, partout dans le monde, la guerre aux rouges et ici en Europe, les Français les trahissaient et les abandonnaient en plein combat. L’intelligence n’étant pas répartie dans tous les cerveaux de la même manière, certains responsables américains de Toul voulurent se venger et entreprirent un sabotage en règle. Tous les tuyaux d’eau potable, de chauffage, de gaz, ainsi que tous les fils électriques et téléphoniques furent sciés au ras du sol. Pour rendre difficile la reprise de cette base, les saboteurs coulèrent systématiquement du béton dans tous les trous, chaque installation sanitaire, W C, douches, lavabos furent rendus inutilisable. Pour toutes ces raisons la venue de la 11 fut décalée et certaines installations n’étaient pas encore prêtes en temps utile.
La 11e EC avait été commandé par le commandant Capillon de 1966 à 1967, général commandant en second la Fatac 1ere RA, il sera mon chef direct lorsque je serai affecté à la section circulation aérienne de cet État-major en 1980-82. Le général Théodore Mahlberg lui succédera à ce poste, s’il avait été mon commandant de base à Dijon, il avait été préalablement commandant d’escadron du 1/11 en 1961 et chef des OPS de la 11 en 1962.
Le nouveau commandant d’escadre, le commandant Ghesquière, avait fixé au 14 septembre 1967 le déploiement sur Toul. Il voulait marquer la vie locale et comme Lafayette avant lui il voulait à son tour pouvoir déclarer ”nous voilà”. La météo n’était pas excellente, Toul était jaune comme tous les terrains de l’Est. C’était un temps assez habituel pour une grande partie de l’année, les américains qui venaient du Texas, de Floride ou de Californie appréhendaient leur affectation en Europe, pour eux la caractéristique aéronautique européenne était le pays du ”poor weather” (temps pourri).
L’escadre va donc se présenter à l’atterrissage à Toul en deux vagues, la première partira de Bremgarten et la deuxième sera constituée par le 3/11 qui décollera de Colmar avec un décalage de 10 minutes environ. L’approche de Colmar assurera le transfert des appareils vers ”Menthol’‘, indicatif radio de la station de détection et de contrôle de Drachenbronn. Cette première partie s’exécuta conformément au plan, mais environ une demi-heure plus tard, en ordre dispersé tous les appareils du 3/11 demandèrent l’approche et l’atterrissage à Colmar. Nous apprendrons plus tard que la plupart des F100 n’avaient pu ”percer” (approche à travers les nuages) une véritable panique s’étant emparée du contrôle de Toul surchargé.
Le commandement avait commis une erreur, il s’était montré exagérément optimiste quant au niveau opérationnel des contrôleurs de l’approche de Toul. Ces derniers étaient de nouveaux affectés pour la plupart, ils n’étaient pas suffisamment entraînés aux délicates procédures locales d’approche. La base de Toul était proche de celles de Nancy-Ochey et de Metz-Frescaty, quantité d’avions se partageait cet espace aérien relativement restreint, aussi, devant ce problème de concentration de trafic et de danger d’abordage, l’ U.S. Air Force avait créé une station d’approche commune qui s’appelait ”Moselle Contrôle” et qui avait la responsabilité du départ et des arrivées des trois terrains cités auquel il fallait ajouter celui de Grostenquin des canadiens et celui de Phalsbourg. Toutes ces précautions bien connues des cadres auraient dû alerter les responsables de la Fatac.
Le départ définitif du 3//11 s’échelonnera le lendemain et les jours suivants. C’est avec beaucoup de nostalgie que nous les avons vus nous quitter, nous étions habitués à la détonation caractéristique de leur P.C. et de la sonorité propre de leur poste radio, ils nous ont manqué.
Nous ressentions un grand vide, il ne restera sur la base de Colmar qu’une seule escadre à 2 escadrons de la 13e EC, à 15 avions chacun, car le CEVSV nous avait également quitté pour la base aérienne de Saint-Dizier en juillet 1967 et non pas 1965 comme il est écrit la plupart du temps. Un détachement Hélicoptère du 2/67 prendra sa place en 1971, nous apportant un surplus bienvenu d’activité.
La 11e EC (et la 3) avait permis à la FAS (Force Aérienne Stratégique) une montée en puissance extrêmement rapide au grand étonnement du monde entier, en retour c’est grâce à la FAS que le 3/11 du capitaine Roumilhac apprit la technique du ravitaillement en vol. Le 3/11 puis la 11 tout entière fut l’escadre de chasse unique chargée de l’intervention en Afrique, mais elle commit le péché d’orgueil, elle ne voulut pas partager. Un jour, tous les navigants et mécaniciens de cet escadre transmirent à l’État-major de la Fatac leurs demandes de permission sur une feuille double 21/29,7 car ils n’avaient pu les prendre l’année passée étant en mission outre-mer. La réponse fut réglementaire négative, assortie d’un avertissement : partagez !!! Depuis lors, tous les pilotes des autres escadrons de Jaguar purent à leur tour accéder aux missions de guerre, l’adrénaline fut partagée. Je suis fier d’avoir un peu contribué à l’entraînement de tous ces hommes.
COLONEL B. DUTEIN
Merci pour votre témoignage poignant. Retrouver tous ces anciens pilotes qui étaient tous de sacrés mecs m’interpelle.
Je suis la fille de l’un d’entre eux.
Et j’ai eu la chance d’avoir un père qui m’expliquait beaucoup de choses. Je devais avoir 7 ou 8 ans.
Mon père a fait partie des pilotes formés aux US. Il a fait l’Algérie, La veille de son départ, il était à Cambrai, il s’est crashe sur Mystère IV, mais en est sorti indemne.
Théo (Mahlberg) nous a quittés le 2 Juillet 2024.
Il était comme un père pour moi.
Et quand je lis son nom, j’ai les larmes aux yeux. Pourtant, il était un ami de mon père, mais pas mon père.
C’est ainsi. Pour Théo, j’avais failli être orpheline à 2 ans, j’étais une petite fille à protéger. Théo etait comme ça. À la fois sévère et si humain.
Étienne Copel etait un ami de mon père.
J’ai connu presque tous les pilotes que vous citez.
Merci à vous pour ce beau témoignage.