Cette catégorie “Armée de l’Air” regroupe des histoires, récits, anecdotes, documents,… qui ne sont pas directement issus de la 11EC, mais qui ont un rapport direct avec la vie en escadron.
On y retrouve des articles variés mais allez les visiter, vous ne serez pas déçus.
Bien souvent derrière une photo se cache une histoire ; il en est ainsi pour celle-ci, une Rolls sponsorisée par une marque de parfum et survolée par 3 Jaguar. C’était il y a 40 ans lors de l’arrivée à Dakar en 1981 ; histoire racontée par un des principaux protagonistes.
Le contexte militaire.
Depuis la fin de l’année 1977, l’Armée de l’Air est intervenue en Afrique avec ses Jaguar, tout d’abord en Mauritanie puis au Tchad en 1978. Depuis la situation géopolitique a évolué (elle évolue souvent à cette époque) et les Lybiens occupent N’Djamena et le Tchad par suite des accords passés entre les deux pays. Mais pour palier un brusque changement dans cette partie de l’Afrique, des forces françaises restent prépositionnées au Sénégal et au Gabon où stationnent les Jaguar. Nous sommes en Janvier 1981, et avec Bouillat, Sexauer, et Cayrier, je fais partie du détachement (DETAM) du 1/7 Provence qui est arrivé pour 2 mois entre Noel et nouvel an à Dakar. L’activité aérienne est peu soutenue et chaque vol doit avoir l’approbation de la FATAC, commandement de tutelle, et on doit aussi en informer les autorités sénégalaises.
Le Paris – Dakar
Lancé par Thierry Sabine en 1979, ce raid qui se déroule principalement sur le continent Africain en est à sa 3ème édition. Si les deux premières étaient plutôt le fait d’amateurs en quête d’aventure, cette édition commence à prendre la forme qu’on lui connait avec la participation de pilote professionnel de renom (Jacky Icks), de vedettes du showbiz (Claude Brasseur) et de toute une faune qui a compris très tôt que cet évènement deviendrai très tendance et qu’il constituait une fameuse caisse de résonnance internationale pour leurs affaires et/ou leurs notoriétés: «Hubert», l’animateur radio d’EUROPE 1, Guy Louis Duboucheron (l’HÔTEL), etc. Et c’est ainsi que pour le lancement de son nouveau parfum « Jules », la maison « DIOR » a sponsorisé une voiture, une Rolls ; mais ce n’est pas la voiture de Monsieur tout le monde, c’est une voiture d’exception qui à priori n’avait rien à faire dans un rallye et qui de ce fait attirerait curiosité et par conséquent les médias. Précision, la Rolls Corniche 4×4 n°184 n’avait que le nom : carrosserie en polyester, chassis Toyota HJ 45 (nos Toyota rebelles des sables mauritaniens et tchadiens) mus par un V8 5,7l Chevrolet !
L'arrivée du Paris Dakar devant le Méridien
Les premiers contacts
Pour avoir pratiqué le karting quand j’étais plus jeune, je connaissais quelques pilotes tels que Servoz-Gavin, Jaussaud et d’autres, je revenais dans mon milieu. Cayrier, fana de «courses de côtes» à ses heures nageait dans le bonheur, de plus il connaissait bien Thierry de Montcorgé, pilote de la Rolls et fabricant de barquettes ! À la soirée d’arrivée du rallye nous rencontrons le photographe de LVMH (propriétaire de la maison DIOR), également accrédité auprès du cabinet de Raymond Barre, premier ministre de l’époque. Avec la présence et une collaboration éventuelle des pilotes de Jaguar, ce photographe voyait l’occasion idéale de finaliser en apothéose la campagne de publicité du parfum « Jules ». Les premiers contacts à l’hôtel Méridien sont cordiaux. Cayrier dit « Le Bouffi » demande et obtient l’autorisation de conduire la Rolls et il déboule tout fier sur la base aérienne ; les premières photos des pilotes (Rolls et Jaguar) sont réalisées. Mais de notre côté, nous ne sommes pas très à l’aise car nos « chefs » n’apprécient pas trop ce mélange des genres ; c’est ainsi que pour les photos nous portions casquettes et lunettes cachant nos visages et qui empêchant toute reconnaissance, quoique !
Le Méridien à Dakar avec l'ile de N'Gor
La préparation de la photo.
Pour le photographe, les photos des pilotes c’est bien, mais il y a mieux à faire ! Et c’est lui qui propose le survol de la Rolls par les Jaguar. Nous adoptons tout de suite une position de réserve arguant du fait que nous n’avons pas l’autorisation d’effectuer ce genre de mission. Qu’à cela ne tienne, « Je vais la demander au cabinet de Raymond Barre ». Et ce qui fut dit, fut fait ; l’autorisation nous arrive très rapidement sous forme de message type: «Mise à disposition de 4 Jaguar…». Ne restait plus qu’à obtenir l’aval des autorités locales ; là encore le hasard faisant bien les choses, je connaissais une personne au Ministère du Tourisme Sénégalais et je n’eus aucun problème pour avoir cette autorisation manquante. On décida en commun accord que cela se passerait sur la plage de Yoff au nord de Dakar (pas très loin du lac Rose, arrivée du raid) que la Rolls serait survolée à basse (très basse) altitude par les Jaguar venant de la mer. Ce survol s’effectuerait à la fin d’une mission d’entrainement normal.
La réalisation de la photo
Un avion étant en panne, j’ai rejoint le lieu de prise de vue équipé de fumigènes et d’une radio pour entrer en contact et guider les avions, comme le faisait n’importe quel OGT (officier de guidage terre, appelé aujourd’hui FAC). Juste avant le passage, Hubert (l’animateur radio) pris la parole et s’adressa aux (nombreuses) personnes présentes « Messieurs, si vous voulez mettre vos montres à l’heure, au passage vertical des Jaguar, il sera très exactement 17H00 ». Je ne sais plus si j’étais synchronisé avec l’horloge universelle, mais les avions firent un premier passage vertical à 17H00 pile à ma montre…
Il fallut plusieurs passages pour que le photographe obtienne ce qu’il voulait ; initialement prévus à 300 ft (100m) et 450 kts (720 km/h), on en arriva à … beaucoup plus bas et beaucoup moins vite (si on regarde bien la photo, on voit qu’il y a des volets sortis).
L’auteur aux couleurs du parfum Jules !
Ça se complique pour nous
Après la séance sur la plage, la vie normale reprit son cours et les photos furent publiées dans Paris Match en double page centrale, dans « Jours de France » (le journal du groupe Dassault), etc … ce qui ne pouvait pas passer inaperçu surtout au niveau de la FATAC que l’on n’avait pas tenu informée pensant que le cabinet du premier Ministre le ferait. Quelques jours après la parution des magazines nous reçûmes un message disant qu’au retour nous serions tenus de fournir des explications. Ce genre de message laisse rarement augurer d’une rencontre de courtoisie mais nous avions l’esprit relativement tranquille dans la mesure où on avait obtenu l’aval de Matignon ainsi que celui du Ministre du Tourisme sénégalais. La fin du DETAM se déroula normalement et nous eûmes droit à la semaine de récupération qui était surtout destinée à nos familles que l’on n’avait pas vu depuis deux mois.
Ça ne va plus du tout pour nous.
A notre arrivée le jour de la rentrée, les quatre pilotes furent immédiatement convoqués chez le commandant d’escadre le LCL Brun. Il fit sortir « Le Bouffi » car étant sous-officier, il considérait qu’il n’avait aucune responsabilité dans cette affaire et nous annonça que notre comportement totalement inadmissible méritait 40 jours d’arrêt ! Sanction confirmée juste après par le commandant de base le colonel d’Ouince. Vous vous retrouvez hors du bureau sans très bien avoir compris ce qu’il s’était passé ; impossible d’en placer une, complètement décoiffé tellement ça avait soufflé fort et avec un fort sentiment d’incompréhension, voire d’injustice. Le temps de reprendre mes esprits et je téléphonais à mes contacts à Matignon et à Dakar pour expliquer la situation et surtout pour leur raconter qu’on ne comprenait pas une telle sanction.
Ça va mieux pour nous, mais…
A la fin de la semaine, les coups de téléphone eurent l’effet escompté ; on nous annonce que la sanction est levée et que l’affaire est terminée. C’est donc soulagé et l’esprit serin que nous primes le chemin de Cazaux pour notre campagne de tir annuelle qui constitue une période très appréciée des pilotes car elle permet de délivrer de l’armement réel ce qui est quand même la finalité d’un avion d’armes. En fait l’affaire n’en n’est pas restée là car l’Armée de l’Air certes, avait plié devant Matignon mais avait décidé de régler ses comptes avec les moyens qui lui sont propres. C’est ainsi que j’ai appris pendant cette campagne de tir que j’étais muté à la 8ème Escadre à Cazaux avec effet immédiat (même pas le temps d’attendre le mois de septembre) que Bouillat lui se voyait propulsé OSV (officier de sécurité des vols) à Tours et que Sexauer allait faire une période de purgatoire comme officier de tir en Corse, quant à notre «Bouffi», il se retrouvait instructeur au 2/7. J’ai trainé ce boulet tout au long de ma carrière et plusieurs fois j’ai eu la désagréable sensation que je continuais à payer pour cette affaire.
Bernard NICOLAS
Ndlr ; lors de mon dernier passage en 2015 à l’escadron 1/7 Provence équipé maintenant de Rafale, un poster de la photo de la Rolls et des Jaguar était affiché dans le couloir menant à la salle d’opérations ; personne ne pouvait le manquer.
Bernard CAYRIER, connu sous le nom de “Le Bouffi” a eu la gentillesse de me confier une photo personnelle et de m’écrire ces quelques mots.
Voici la photo de la voiture JULES une Rolls Royce Corniche ; la coque est en résine et à l’intérieur il y a un prototype de course avec un énorme moteur, un châssis tubulaire de Toyota 4/4 et un moteur V 8 de Chevrolet Corvette …. un monstre mais au pilotage facile dixit Thierry DE MONCORGET
J’ai eu la chance de conduire l’engin durant quelques jours et faire une entrée “discrète” sur la base de DAKAR-YOFF derrière la voiture du colonel !!!!!
C’est THIERRY de MONTCORGET, le pilote qui me la confiée, et je peux vous dire que les roues patinaient encore en fin de troisième. Pour monter à bord il fallait passer par la fenêtre, et quel bruit ! Par contre pour ce qui concerne la consommation ce n’est rien de le dire…, elle consomme…
Pour la partie « aéro », j’ai donc fait partie de la patrouille et j’étais l’équipier de droite ou de gauche (je ne m’en souviens plus). Si l’on compare l’ombre de l’avion et son envergure nous ne sommes pas bien haut ce qui nous a permis de voler en dessous du “croupion” des mouettes…, mais c’était il y a quelques dizaines d’années. Aujourd’hui, il y a prescription. 😉
Beaucoup d’ouvriers français, travaillant sur le chantier de Rosy, se procurent des habits militaires. Le troc avec la mirabelle va bon train. En effet la “gazoline”, comme le disent si bien les sapeurs, est une monnaie d’échange. Le Lieutenant-colonel RAY, voyant un homme travaillant en tenue, mais avec les manches relevées et sans le casque obligatoire, s’approche de lui pour lui passer un savon. En guise de réponse il n’obtient que la sempiternelle phrase, “comprends pas” ! Et ce fut le responsable du matériel qui se fit remonter les bretelles ce jour-là.
Ouvriers civils au travail
Les ouvriers civils sont encadrés par le Lieutenant Mac Laughlin. Et le travail avec l’impétueux Mac Laughlin restera une expérience inoubliable pour tous ces Français, dont la tâche est très utile, dans chaque phase des travaux. Surnommés “les grenouilles”, les ouvriers français participent aux tâches de responsabilité sur tous les projets. Le mur, tout le long de la route périphérique de Rosy, est le fruit de leur labeur. Même si les Français sont moins rapides que les Américains, le travail des “grenouilles” permet aux hommes du 850th de mener à terme leur construction, tout en participant aux missions programmées lors de la bataille des Ardennes. Il faut reboucher les trous des aérodromes bombardés par les Allemands.
Mais lorsqu’un énorme Caterpillar se vautre dans la boue, et que ses chenilles ne font que remuer la fange boueuse, il est assez déprimant, pour les Américains, de voir un petit Français, aux jambes arquées, s’enfoncer dans la gadoue et creuser, avec sa petite pelle, un canal pour que l’eau s’évacue et que le gros Caterpillar puisse continuer sa besogne. Les hommes du 850th ont vu une montagne de petites choses, comme celle-ci, pour que Rosy soit enfin construite.
C’est au mois d’octobre 1944 que les Dieux accordent une trêve à Rosy. Le soleil se met à luire et le transport des pierres, pour la tranchée de la piste, se termine rapidement. Après les pierres, il est décidé de mettre des scories. Les scories sont issues des usines de Pompey, mais après le débordement de la Moselle, qui inonde Pompey et emporte tout le stock, elles sont acheminées depuis Pont-à-Mousson. La pluie, qui revient quelque temps après, entraîne un changement radical dans le principe de construction. La toile de jute est définitivement abandonnée. On remplace, cette dernière, par des plaques PSP, qui sont posées sur un tapis de paille. À la fin du mois d’octobre 1944, deux compagnies (A et B) sont libérées de leur chantier sur Reims et Saint-Dizier. Elles sont employées à la pose des plaques PSP sur Rosy. À cette époque, les Allemands ont reculé, il n’y a plus de tirs d’armes de petits calibres et l’artillerie ne se fait entendre que dans le lointain. La Luftwaffe n’apparait plus dans le ciel, il n’est donc plus nécessaire de disperser les nouveaux arrivants. Les tentes sont bien alignées dans la “rue de la compagnie” ce qui parait, toutefois, bien imprudent en période de guerre.
La pose des plaques devient, vite, un cauchemar pour les deux compagnies. La boue, toujours présente, empêche les camions de décharger les scories et les plaques au fur et mesure de l’avancement des travaux. Les scories et les plaques sont maintenant déposées sur le bord des chemins de roulement. C’est donc manuellement que les matériaux sont acheminés sur le lieu de pose. Les manipulations sont effectuées sur des distances atteignant, parfois, cinq cents mètres. Les bas-côtés de la piste sont très vite défoncés et les camions et les bennes doivent être tirées par les Caterpillar, à la grande désolation du Lieutenant Paynter.
Les fameuses plaques PSP
Il a fallu en poser pour que Rosy existe !
La pluie, qui transforme la piste en véritable torrent de boue, déplace les plaques PSP à peine posées. Ce glissement entraine le décentrage du tapis, obligeant les sapeurs à tout démonter et à recommencer depuis le début. Deux jours de travail sont ainsi perdus, en quelque temps, et la piste n’est toujours pas en état de fonctionner au grand désarroi du “big-chief”.
La construction des alvéoles n’est pas de tout repos non plus. Il est prévu de protéger les alvéoles par un mur de bois, réalisé avec des troncs d’arbre. Ce mur doit maintenir la terre des merlons. Le Lieutenant Durham est le responsable des bois. Le bataillon des Français attaque la forêt, marquant les arbres à abattre. Les sapeurs, d’un coup de scie électrique, fauchent les troncs comme des allumettes. Les Français à l’aide d’attelages de chevaux, ou d’attelages mixtes (un bœuf et un cheval) tirent les troncs vers les espaces découverts. Ils sont aidés, par la suite, par une section de sapeurs (les Américains tiennent à participer à tous les travaux). Une grue de 20 tonnes tire les troncs sur la nationale sur un kilomètre, et les Français entassent ces énormes troncs, sur des remorques. Trois alvéoles sont construits, par la section du Lieutenant Zielinske (dit Little Joe), avec le bois coupé, avant que le projet ne soit définitivement abandonné au profit de murs en pierres.
Surnommée “l’enfer de la boue”, cette piste met les nerfs du personnel à rude épreuve. Les compagnies “H” et “S”, en charge de la maintenance du matériel et de son transport, traquent tout véhicule ou engin à moteur, capable de rouler à une vitesse supérieure à celle d’un bœuf au pas. Rosy a réduit à néant tout ce que les hommes avaient appris en matière d’équipements pour les opérations et le transport. On retrouve la description de cet enfer dans une lettre du cuisinier, William Albert Akers, qu’il envoie à sa famille :
” Ce serait tellement joli si le soleil voulait bien se montrer…la pluie et la boue sont très gênantes. La boue colle aux chaussures, au matériel et à la peau et les véhicules ne peuvent pas bouger de place sans être treuillés. À la cuisine, la boue monte jusqu’au-dessus des chaussures. Aujourd’hui dimanche, j’ai passé une heure à enlever la boue de mes chaussures, je les ai cirées et fait briller, puis j’ai mis des vêtements propres pour sortir, mais j’avais à peine terminé que la pluie a recommencé. Je crois que je vais me contenter de vivre avec des bottes et des vêtements pleins de boue ! Il y a quelques jours, on nous a apporté des caisses de rations qui étaient tellement recouvertes de boue que j’ai eu toutes les peines du monde à lire ce qu’elles contenaient. J’ai l’impression qu’on ne nous racontait pas d’histoires en parlant de la boue des tranchées en France pendant la Première Guerre mondiale. Sherman disait, la guerre c’est l’enfer, ici l’enfer c’est la boue. Si nous ne partons pas rapidement d’ici, et que la boue augmente, j’ai l’impression que nous ne pourrons jamais en sortir, et je ne crois pas non plus qu’on puisse venir nous y chercher.”
Lors du transport de scories, sur le chemin de Pont-à-Mousson à Rosières, les routes étroites et glissantes sont aussi dangereuses que de l’herbe gelée. La route est souvent mitraillée au clair de lune. Les chauffeurs traversent des villages chamboulés, des carcasses de tanks longent le chemin, le bruit de l’artillerie rappelle que la prudence est de mise. Oui, mais voilà, les hommes n’ont pas le temps d’être prudents. Les camions doivent rouler jour et nuit. La production ne doit pas chuter, sinon, le “big chief” ne serait pas content. Le transport par camion est impitoyable à Rosy. Lorsque les routes sont terminées, avec le hérisson en scories et les vingt centimètres de pierres, elles partent, aussi vite, en lambeaux sous le poids des camions. À force d’efforts pour reconstruire, les hommes deviennent agressifs.
Ce soldat américain, comme beaucoup d’autres, à cette l’époque, a sympathisé avec les habitants de Rosières. On le voit ici sur la photographie en compagnie de la mère et de la tante d’une habitante de Rosières.
Abattage des arbres
Construction des alvéoles de Rosy
Les bruits, qui commencent à circuler au sein du 850th, laissent à penser que le bataillon va passer l’hiver sur Rosy. C’est à cette époque que des idées germent dans l’esprit des hommes. Certains souhaitent avoir un mess, des douches, des salles de repos. Une idée du docteur Donahue va rester dans les annales du 850th. Ce brave médecin propose de déplacer le mess de l’état-major, insistant sur le fait que le cuisinier, Albert Akers, doit installer ses cuisines dans la prairie de l’autre côté de la route. Le “Doc” choisit, lui-même, l’emplacement. Malheureusement, avec la pluie, le nouveau mess se trouve inondé, les hommes ont de l’eau jusqu’aux genoux. Les aides-cuisiniers doivent chausser leurs bottes, et Albert Akers, surnommé “Brush Face” caresse avec nostalgie, son grand couteau, chaque fois que le nom de ce “foutu toubib” est prononcé. Avec l’humour américain, cet endroit est aussitôt baptisé “lake Donahue” et il est resté célèbre jusqu’au départ du 850th.
William Albert AKERS, alors cuisinier au 850th bataillon du génie américain. Photographie dans une rue du village de Rosières. 1944/1945
Le fameux "lac DONAHUE"
Le Capitaine Donahue
Le calme, relatif, qui s’est installé, conduit à la redistribution des tâches. Le Capitaine Plunkett est relevé de la compagnie “A” et se voit confier le bataillon “X”, celui des Français. On lui donne, également, la responsabilité du contrôle, qu’il doit assurer avec Henri Verhert, le chef de chantier de l’entreprise Duval. Plunkett va se battre, pendant des mois, pour que les choses restent en ordre et évitent de sombrer dans un chaos indescriptible. Son premier “coup de gueule” se produit, lorsque les ouvriers français sont véhiculés dans un camion débâché, faute de moyens. Les hommes, couverts de boue, sont un peu la risée publique tout au long du parcours. On entendit hurler Plunkett jusqu’à l’autre bout du camp. Et depuis ce coup de gueule, les ouvriers ont bénéficié d’une attention, toute particulière, les camions ont été recouverts, et on a pris soin des “grenouilles”. La pluie, omniprésente sur Rosy, l’est également sur le terrain d’Orconte, un terrain d’aviation situé sur les rives de la Marne qui vient de déborder.
L’histoire de la Base Aérienne de Toul Rosières, appelée aussi Rosy, commence avec sa création par les troupes Américaines en 1944 et elle est racontée ici par Gérard BIZE.
PREFACE
Rosy, nom de code A98, est un terrain d’aviation, construit par les Américains et les Français, en septembre 1944. Rosy est l’image même d’un travail partagé entre deux pays, deux cultures, pour le même objectif, la défense de la liberté et le maintien de la démocratie. Quel bel exemple de courage et d’abnégation, que cette construction, sous un ciel peu clément et sur un terrain peu hospitalier.
Le 850th bataillon du génie américain a entrepris un ouvrage peu commun, digne que l’on raconte cette histoire, l’histoire des hommes qui ont contribué à la grande histoire, leur histoire! Rosy a appris, une chose, aux hommes, c’est que lorsque quelqu’un compte sur vous, alors il faut faire quelque chose ! Le froid, la pluie, la boue auront été les compagnons de ces hommes qui se sont battus, contre l’ennemi, contre les éléments, pour que nous puissions vivre, aujourd’hui, libres et heureux. Nous leur devons un grand merci et un devoir de mémoire. L’histoire que vous allez découvrir, est celle du 850th bataillon du génie américain et du 354th Fighter Group, deux unités américaines qui ont partagé leur destin sur le terrain de Rosières-en-Haye. Je n’aurais pas pu vous raconter cette histoire sans Didier HOUMEAU, qui a traduit les documents originaux que des vétérans américains m’ont confié. Je lui transmets tous mes remerciements et je l’associe à l’ouvrage.
G.BIZE
Nous sommes en septembre 1944, le village de Rosières-en-Haye ne semble pas avoir trop souffert de la guerre. Depuis le débarquement, les Alliés progressent inexorablement. Les habitants s’attendent à voir arriver, un jour ou l’autre, les fameux G’Is1. Dans la journée du 21 septembre, des troupes entrent dans le village. Croyant voir les libérateurs, tant attendus, des habitants n’hésitent pas à sortir pour les accueillir avec le drapeau français. Qu’elle n’est pas leur stupeur, ce sont, en fait, des troupes allemandes qui reculent. Les drapeaux sont vite rangés, les volets sont fermés, certains compatriotes ont été fusillés pour bien moins que cela…
Le 22 septembre, à la tombée de la nuit, dans un brouillard à couper au couteau, de nouvelles troupes pénètrent dans le village. Cette fois, ce sont bien les ” sauveurs “. Il s’agit du 850th bataillon du génie américain et son état-major. L’accueil des villageois est, cependant, assez froid, et pour cause : les habitants ne veulent pas recommencer l’erreur de la veille. Après un temps d’observation, et la confirmation que ce sont bien des Américains, malgré un ” Yes ” qui ressemble étrangement à un ” Ya “, la joie éclate enfin et les libérateurs ont droit à un accueil un peu plus chaleureux…Rosières est enfin libre ! Les Allemands ne sont pourtant pas loin, ils ont effectué un léger repli dans la campagne environnante. Le 850th bataillon du génie vient de recevoir ses ordres par radio et les coordonnées du futur terrain d’aviation. Il est question, en effet, de construire une piste dans le bois voisin. Le temps presse. Le Général Patton a besoin d’essence pour ses chars, engagés dans la bataille du front de Moselle. L’Air Force, a besoin d’une piste pour effectuer le ravitaillement du front et évacuer les blessés.
Le “First Sergeant ” Lawson Robinson, dit “Roby” donne ses ordres sans plus attendre. Il s’agit, pour le 850th de s’installer le plus rapidement possible. Il faut effectuer le traçage de la future piste. Le bois, qui a été choisi, ne correspond pas aux normes habituelles de construction du génie américain. Le terrain est en pente, il est composé d’une couche d’argile sur 80 à 90 centimètres, le tout reposant sur un calcaire fragmenté. De plus, la compagnie va construire une piste à partir d’une forêt pour la première fois depuis son existence. Le 850th bataillon du génie américain a débarqué sur les plages de Normandie, avec comme mission, de réparer, construire et développer des terrains d’aviation au profit de l’Air Force. Le bataillon va côtoyer, le 354th Fighter Group, qui lui-même, débarque d’Angleterre sur la terre de France. De terrain en terrain, ces deux unités vont avancer dans la campagne française. Elles vont se retrouver sur le terrain d’aviation de Rosières-en-Haye et il naitra une complicité et une franche amitié entre ces deux unités. Au cours de ce mois de septembre 1944, le 850th EAB2 (Engineering Aviation Battalion), a reçu pour mission de maintenir en état dix aérodromes, disséminés dans le secteur. Il s’agit de Reims, Mourmelon, Prosnes, Vertus, Athis, Saint-Dizier, Orconte, Vitry, Perthus et Saint Livière. Le 19 septembre, le bataillon reçoit des ordres du régiment, pour déplacer une compagnie vers la région de Nancy avec des moyens lourds. C’est à partir de cette date que le 850th découvre Nancy, le vin blanc, le vin rouge et les “mademoiselles”. C’est également, à cette époque, que le Lieutenant Picketty va succéder au Lieutenant Ossude, comme officier de liaison français.
Le 850th est affecté à la 9e Air Force, il dépend de la 2e brigade aérienne. Il reçoit ses ordres du 9e Génie, et pour compliquer les choses, il travaille avec le 926e régiment du génie de l’aviation. Les sapeurs du génie sont des hommes entrainés, ils connaissent tous le manuel de construction d’une piste, tout semble parfait et doit donc tourner comme une horloge. Oui, mais voilà, c’est la guerre ! Et tout ce qui est écrit, dans le manuel et sur les ordres d’opération, est bien loin de la réalité du terrain. Ce flou, artistique, amène les hommes du 850th à dire que quelqu’un a jeté, volontairement, le manuel par-dessus bord, lors du débarquement sur Utah Beach, et que toute l’organisation théorique, dispensée dans la phase préparatoire avant le débarquement, s’est perdue dans le temps. En effet, lorsque la 9e Air Force décide de faire construire une piste, dans les environs de Nancy, le 926e régiment du Génie, qui consulte ses cartes, constate que toutes les zones, déjà reconnues, se trouvent trop au sud de Nancy. D’autre part, tous les bataillons disponibles dans le secteur sont en pleine construction. Il ne reste que le 850th, dont un détachement est en maintenance sur les terrains d’aviation qui lui sont désignés, et, pour comble de malchance, l’élément lourd, ainsi que la compagnie et le bataillon d’état-major, qui viennent d’être envoyés, le 19 septembre, dans la région de Nancy, est arrêté dans les faubourgs de la ville, en attendant que l’infanterie américaine prenne possession de la ville. Pour l’instant, c’est l’artillerie qui essaye de déloger les Allemands… Le commandant de la 2e brigade demande alors une nouvelle reconnaissance aérienne, dans les alentours de Nancy, pour trouver un emplacement où construire le terrain. C’est au cours de cette mission de reconnaissance qu’une crête de terrains cultivés, situés près du village de Rosières-en-Haye attire l’attention de l’équipage. La zone repérée possède la longueur, la largeur et le drainage suffisants. Le lieu reçoit l’approbation immédiate de la 2e brigade, les ordres sont aussitôt donnés par radio. Les coordonnées du terrain sont envoyées, au 850th et les premiers éléments arrivent sur les lieux deux heures après l’appel radio. C’est dans le brouillard que les hommes suivent le Capitaine Nelson et découvrent Rosières-en-Haye, qui est tout de suite baptisé “Rosy”.
Après l’accueil par les habitants, la mise en place du camp se fait un peu dans la plus complète confusion. La mission principale reste la construction de la piste. On entend toujours le crépitement des armes automatiques et le bruit de l’artillerie dans la campagne environnante. L’ordre est donné d’envoyer la pelleteuse et le Caterpillar sur le site, avant même que le camp s’installe. Le Sergent Robinson pare au plus pressé. “Les tentes ici, les latrines là-bas ! Qui a la hache ? Où est la masse ? Avez-vous vu mon sac de couchage ? On mange où ? ” … Pendant ce temps, le Lieutenant-colonel Ray et le Capitaine Nelson se font secouer dans leur Jeep qui parcoure le site pour déterminer la meilleure position possible de la piste. Rosy est la première piste de la région. Les engins commencent à défoncer les terres ensemencées de légumes et de luzerne, sous l’œil étonné et incrédule des habitants de Rosières. L’activité qui règne sur le site est impressionnante. Les paysans ne sont pas contents, on leur prend des terres pour construire un terrain d’aviation, mais c’est le lot de tout à chacun. “C’est la guerre !” comme le dira souvent le maire de l’époque… Les machines rongent, creusent, martèlent la terre. Les engins lourds, Caterpillar et pelleteuses, creusent le sol en pente, le contenu des scrapers est déchargé sur le terrain adjacent sans aucune forme de procès. Une pelleteuse creuse son sillon au centre de la piste, laissant ce trou béant comme un piège derrière elle.
Relevé sur le terrain par temps de pluie
Bulldozers en action sur Rosy
Les niveleuses commencent à tracer une route vers le stockage de carburant, près de la route nationale 411, le rouleau compresseur suit la niveleuse en faisant tournoyer ses rouleaux d’acier. La construction est en marche, rien ne semble pouvoir l’arrêter !
La compagnie “C”, détachée sur Nancy et rappelée par radio le 22 septembre, arrive enfin sur Rosy. Elle s’installe, de l’autre côté de la nationale 411, sous les arbres, pour se mettre à l’abri. L’objectif du bataillon est d’obtenir un sol lisse, légèrement pentu et compacté, d’une largeur de quarante mètres. Des toiles de jute ont été commandées pour être appliquées sur le ventre argileux de Rosy. Le terrain peut apparaitre comme construit à la hâte, mais qu’importe, il doit être acceptable pour l’USAAF. C’est sans compter avec la pluie, qui se met à tomber͙. L’hiver 44/45 a été l’un des plus pluvieux de l’époque. Travailler sous la pluie ne fait pas peur aux sapeurs du 850th, mais la pluie de Rosy n’a rien à voir avec celle que les hommes ont connue jusqu’ici ! Selon les dires, “il pleuvait d’une manière constante, perpétuelle et atroce, presque proche de celle décrite dans les livres saints parlant du déluge…”
Le rouleau compresseur suit la niveleuse en faisant tournoyer ses rouleaux d'acier.
La campagne lorraine est devenue, en très peu de temps, un véritable champ de boue. C’est comme une sorte de gel, qui colle et s’encastre dans les roues des camions, une gangue qui enveloppe les pneus et les maintiens bloqués. Pour la première fois, dans toute sa carrière, le 850th se trouve embourbé jusqu’aux genoux et suffoque. Le ravitaillement ne peut plus s’effectuer par voie routière. Les véhicules doivent être tractés͙ Devant cette situation, inhabituelle, le bataillon décide de faire le point sur la marche à suivre.
Le premier souci est la nourriture. Le village n’a accepté que stoïquement les hommes du 850th. Le second souci est de se replier au sec pour continuer la construction. L’état-major du bataillon décide de s’installer dans un verger, situé derrière une ferme abritée. C’est sans compter sur le caractère de la propriétaire, une “petite vieille” qui ressemble, selon les dires de l’époque à “une sorcière” et qui n’est pas du tout d’accord à céder son verger. Elle s’en va consulter monsieur le maire, qui secoue les épaules et lui dit : “si tu ne les laisses pas entrer, ils le feront quand même ! C’est la guerre !”.
L’état-major s’installe donc dans le verger, mais la petite vieille, tous les matins, revêtue de sa cape noire, par temps de pluie ou par grand vent, s’en va dans le verger ramasser les pommes tombées, pour que les occupants ne les volent pas. La compagnie de l’état-major s’installe dans la prairie, au-dessus du village, où le Sergent Akers, cuisinier du bataillon, a installé son mess. Les “toubibs” se retrouvent en face. L’aumônier Miller s’installe entre les toubibs et l’état-major. La compagnie “C” du Capitaine Sam M. Cable, choisit de se blottir le long d’un mur de pierres, dans la prairie du nord du village, faisant, sans doute, plus confiance dans la protection de Dieu que dans la dispersion et le camouflage. Le garage se fixe définitivement dans la ferme bistrot, au croisement de la nationale 411 (Toul vers Pont-à-Mousson) et de la nationale 408 (Saint-Mihiel vers Nancy). Ce qui devait être une “construction rapide” s’enlise dans un “pétrin boueux”.
La construction de Rosy se trouve donc paralysée, alors que les camions continuent à déverser leur cargaison de toile de jute et de plaques PSP (Pierced Steel Plank). Des centaines de tonnes s’amoncèlent sans que la noria puisse être stoppée. Les hommes du 850th commencent à douter de la possibilité de construire une piste à Rosières. Une question hante les responsables du matériel, la toile de jute et les plaques ne peuvent être laissées là si la piste est abandonnée. Le Capitaine Gérald A. Dodge, dit “Papy”, désespéré de voir la route qui mène aux pompes à carburant disparaître sous la boue, se met à jurer !
Le troisième volet de la réflexion est le drainage du terrain. En effet, chaque roue, chaque chenille d’engin, ne fait que creuser des ruisseaux. C’est alors que le 850th prend conscience du problème du matériel : des tuyaux ! Il faut des tuyaux, des kilomètres de tuyaux ! Il faut des pierres, des briques, des outils ! Comme suite à cette réflexion, le régiment envoie des tractopelles dans une carrière abandonnée, entre le garage et Dieulouard. Le “boulevard des tractopelles” vient de voir le jour. Et l’on voit une voie secondaire qui assure la liaison entre la route d’accès et la piste. Cette route se met à grossir au fur et à mesure que les pierres sont enfoncées dans la boue. Ce fameux “boulevard des tractopelles” prend une épaisseur d’un mètre cinquante. Mais il faut encore plus de pierres. Le grand chef décide, alors, de faire mettre vingt centimètres de pierres en plus sur la piste, et quarante-cinq centimètres de plus sur tous les accès et aires de stationnement. Un transport continu de pierres s’instaure immédiatement. Le garage répare près de cent roues crevées par jour. Les chauffeurs roulent parfois plus de 18 heures par jour, et pour compliquer la tâche, il faut rouler tous feux éteints la nuit, pour ne pas se faire repérer par l’aviation ennemie qui rôde toujours dans le ciel.
Les mécaniciens attrapent des maux de tête devant la diminution des pièces de rechange. Ce problème, de ravitaillement, qui aurait pu causer un retard important dans le projet, sera atténué du fait du passage du 850th bataillon du génie de l’air en 850th Génie. De par sa nouvelle dénomination, le 850th appartient à toute armée, corps ou bataillon présent dans les environs, il peut donc se ravitailler auprès de ces organismes. Et c’est grâce à la débrouillardise du Lieutenant Paynter qui dévalise les stocks des unités voisines, que le travail peut reprendre. Ce sont des montagnes de cailloux qui sont transportées à longueur de journée. La carrière ouverte proche du village ne suffit plus. On utilise les carrières déjà ouvertes comme celles d’Avrainville et de Dieulouard. On en ouvre d’autres, une à Villey-Saint-Étienne le 28 septembre, une autre au lieu-dit “la croix des pierres” sur Rosières. Devant l’ampleur de la tâche, les Américains vont faire appel à de la main-d’œuvre locale pour continuer de bâtir cette piste. C’est l’entreprise Duval, de Nancy, qui signe le contrat avec les Américains.
Les hommes de l’entreprise, envoyés sur Rosy, sont en guenilles. Ce sont des anciens des hauts fourneaux et des usines de Pompey, Dieulouard, Pont-à-Mousson, Foug, Toul et Nancy. Il y en a, tout au début, environ deux-cents. L’effectif augmente rapidement pour atteindre le chiffre de cinq-cents. Leur travail, dans la boue, avec des pelles et des haches, est nouveau pour eux. Travailler avec des Américains l’est également. Il y a la barrière de la langue, la façon de procéder. Au début, les ouvriers français ne sont pas bien intégrés. Les Américains craignent toujours des opérations de sabotage. Mais selon les hommes du 850th, les ouvriers français ont été la clé de “l’organisation” et le Lieutenant-colonel Ray a su résoudre ce problème très rapidement, en offrant, aux ouvriers, un repas chaud pour le déjeuner et en leur confiant des missions importantes.
Il faut noter, également, l’implication de l’ingénieur des ponts et chaussées de Meurthe-et-Moselle dans le projet, ce qui fera dire, par la suite, que Rosy est un aérodrome américain construit en parfaite synergie avec les Français.
Sur ce site, l’histoire de la BA 136 a fait l’objet de la parution de plusieurs articles qui ont été maintenant regroupés sur la page “Histoire de la BA 136” ; vous pourrez ainsi avoir accès à l’ensemble de la documentation sur une seule et même page.
Il faut tout d’abord rendre hommage à Gérard BIZE qui est l’auteur de cet historique ; il a passé de nombreuses années sur la base de Toul et après la fermeture définitive, il a continué de la faire vivre dans un premier temps en créant un site dédié “TRAB 136” puis en écrivant. Avant de décéder au début de l’année 2017, il m’avait autorisé à publier l’histoire pour laquelle il avait consacré beaucoup de son temps. C’est donc son travail qui vous est proposé ; un grand merci à toi Gérard.
Sur la page, l’ensemble des articles consacrés à l’historique de la BA 136 est classé par ordre chronologique et référencé en fonction des différents commandants de base qui se sont succédés à partir de 1967, date de la réouverture après le départ des Américains.
L’immense majorité de ceux qui ont travaillé sur la base de Toul ont apprécié leur séjour ; on y accédait par une grande allée bordée de platanes et ensuite son architecture très américaine séparant bien les zones “OPS” et “vie”. Et puis, et surtout, il y avait la 11 ème escadre dont la base était le support et qui était si particulière. Dans un premier temps par son avion F 100, avion américain “un avion d’homme”, puis est arrivé le mythique “JAGUAR” qui a acquis ses lettres de noblesse durant toutes les interventions extérieurs de 1977 à 1997.
Cet historique ne demande qu’à être complété et à vivre. Si vous avez une histoire à raconter, une anecdote, des photos… n’hésitez pas à me les envoyer, je les insérerai.
Le denier article que je vous ai proposé était tiré du livre de Jean Paul SALINI “Les folies de l’escadrille”. Lorsque nous avons échangé par mail, il m’a envoyé une anecdote au sujet d’un pilote surnommé “Couille d’acier”, anecdote qu’il n’avait pas intégrée dans son bouquin et qu’il m’a autorisé à publier.
On l’appelait “Couilles d’acier”. Ce surnom n’était pas dû à une fermeté quelconque de ses attributs masculins. Ni à une production exceptionnelle de testostérone. Ni à une activité sexuelle effrénée. Il lui venait de la guerre. Au cours d’une opération sur l’Allemagne nazie il avait été pris pour cible par la “Flack” et il avait été blessé à la cuisse. De la cuisse à l’entrejambe il n’y a pas loin et la légende prétendait que le médecin qui le traitait avait remplacé ses testicules par une paire de billes en acier inox. D’où le surnom ! Il aurait dû s’en féliciter car ce surnom lui avait valu une réputation qui s’était étendue à toute l’Armée de l’Air et sans lui il serait sans doute resté dans un anonymat de bon aloi. Car, en dehors de cette allure respectable et de cette gravité que les britanniques attribuent aux maîtres d’hôtel ou aux clergymen, il n’avait rien d’exceptionnel.
Mais ça avait quand même fini par lui pourrir le caractère ce surnom. Et il était devenu un peu mauvais coucheur. Surtout avec les jeunes pilotes auxquels il ne passait rien. Faire une mission avec lui était un vrai cauchemar. C’est qu’il n’était pas commode, le Prince. On prétendait qu’on ne le voyait jamais sourire “parce qu’il ne souriait toujours que d’un seul côté. Le côté qu’on ne voyait pas”.
On se vengeait aussi d’une façon plus cruelle et je vais le raconter ici.
Tous les jours Couilles d’acier faisait son entrée au mess pour le repas de midi. Un des jeunes pilotes disposait alors deux verres côte à côte à deux ou trois centimètres l’un de l’autre. Il prenait dans sa main un couteau et il mettait la lame à plat entre les deux verres à égale distance de l’un et de l’autre. Puis il attendait, le couteau en position. Lorsque Couille d’acier s’asseyait, au moment exact où il s’asseyait, il agitait alors le couteau entre les deux verres et il obtenait ainsi un tintement de verre frappé : “Dilling ! Dilling!” Ce qui, vous avez deviné, était le bruit qu’étaient censé faire les deux attributs de Couille d’acier en se posant sur la chaise.
A chaque fois le résultat était surprenant. Comme piqué par un courant électrique, Couilles d’acier se relevait et examinait les convives, cherchant à découvrir le coupable. Mais il ne découvrait jamais personne. Car les convives, mine de rien, continuaient, tranquilles, leurs petites conversations. Je n’aimais pas beaucoup cette persécution imbécile et je n’ai jamais, au grand jamais, accepté d’être le préposé chargé d’agiter la sonnette pour saluer Couilles d’acier. Mais si un homme n’est pas tout à fait mauvais, cela ne veut pas dire qu’il soit tout à fait bon et, un jour….
J’avais quitté le service depuis au moins dix ans. J’avais donc un âge canonique et j’aurais dû être prémuni contre ces sortes de jeux imbéciles. Mais…j’étais dans un restaurant, rive gauche, bien tranquille et bien accompagné quand je vois arriver…Hé oui ! C’était lui. Couilles d’acier ! Bien vieux ! Bien fatigué ! Mais toujours avec cet air maussade et méprisant de majordome anglais. Ça faisait bien trente ans que je ne l’avais pas vu. Qu’est-ce que vous auriez fait à ma place ? C’était trop tentant. Je n’ai pas résisté. J’ai préparé les deux verres, le couteau. Et j’ai demandé à ma compagne de m’enlacer tendrement. Ça, c’était pour l’alibi !
Dilling ! Dilling !
Il avait conservé toute sa détente, Couille d’acier ! Il s’est levé comme s’il avait posé son cul sur une poêle à frire. Son œil, son œil d’aigle “scannait” littéralement la salle. Elle était grande, heureusement. Moi, j’étais lâchement caché derrière mon amie, mais je jouissais du spectacle. Ce n’est qu’après que sont venus les remords.
Et aujourd’hui encore, lorsque j’y pense, j’ai un peu honte….
Aujourd’hui je vous propose un chapitre du livre de Jean Paul SALINI « Les folies de l’escadrille » qui nous raconte son passage à Cazaux, il y a quand même quelques années. CAZAUX est un passage obligé pour tous les pilotes de chasse juste avant l’affection en escadron et qui y reviennent régulièrement en campagne de tir. Mais c’est aussi le bassin d’Arcachon région où il fait tellement bon vivre ; c’est beaucoup de bons souvenirs.
Je remercie les éditions Jean Pierre Otelli, qui se sont spécialisées dans le domaine de l’aviation, qui m’ont autorisé à reproduire ce chapitre ; http://www.editions-jpo.com/fr/
Les folies de l’escadrille
CAZAUX
Je vous parle d’un temps Que les gens de vingt ans Ne peuvent pas connaître.
Cazaux en ce temps-là c’était le Far West. Je me souviens de mon émerveillement en découvrant d’un seul coup le village et la base. C’était, hélas ! il y a bien longtemps. Il y a plus de soixante ans. Un temps où les Forces aériennes stratégiques n’existaient pas encore, où on n’avait même pas eu l’idée de les concevoir et où la base se contentait de recevoir des escadrons en campagne de tir.
Cazaux, c’était d’abord l’odeur. L’odeur des pins. La base en était entièrement couverte. Ce n’était en fait qu’une forêt de pins traversée par deux ou trois routes principales. Mais il y avait aussi des sentiers qui traversaient les bois avec nonchalance et une certaine fantaisie. Si on avait l’idée de les suivre, on avait la surprise de rencontrer de temps en temps une baraque en planches de pin camouflée sous les arbres ou dans les buissons. Ces baraques étaient, paraît-il, habitées par des aviateurs. Des gens fort discrets qui ne se manifestaient guère qu’au mess à l’heure des repas, et deux fois par mois lors de la distribution du tabac. On avait aussi quelques chances d’en rencontrer le long du canal qui traversait la base. Si le temps était beau il y en avait toujours quelques-uns qui taquinaient le goujon, armés de cannes à pêche. Je me souviens qu’un jour nous en avions rencontré un, un gros adjudant-chef, fort occupé à mouiller son fil de nylon. Nous étions en civil et, vu que n’importe qui pouvait entrer sur cette base qui n’était pas gardée, il n’avait pas soupçonné notre appartenance à l’Armée de l’air. Nous avions discuté des inconvénients de la vie militaire. Et il nous avait confié qu’il était heureux d’être à Cazaux, tout en prévenant : « Le problème pour nous autres, militaires, c’est que nous risquons toujours d’être mutés ». Et agitant ses bras, les coudes pliés comme des ailes, il ajouta : « Nous sommes comme des oiseaux sur la branche I » Comparaison audacieuse. Même dans mes rêves les plus fous, iI m’aurait été difficile d’imaginer ce gros adjudant-chef sous la forme d’un chardonneret ou d’une mésange. Lorsque mon compagnon lui demanda depuis combien de temps il était sur cette base, il répondit : « Quinze ans ! »
Immanquablement, de bosquet en bosquet, de fourré en fourré, on finissait par arriver an lac. Et là c’était un enchantement. Un enchantement que je n’essaierai pas de décrire. On ne peut pas traduire avec des mots le bruit des vagues, l’odeur des pins ou la douceur de la brise. Ni le teint du ciel ou les couleurs noyées du lac de Cazaux. Ce sont là des choses magiques que les mots ne savent pas dire. Le mess des officiers était la, vieille bâtisse aux plafonds très hauts, face à un petit port miniature qui, à cause de I ‘ensablement ne pouvait accepter aucun bateau. Ce lac c’était un personnage. J’ai appris à le connaitre puisque, par la suite, j’ai vécu sur ses bords pendant deux ans. D’après ma femme de ménage il était alimenté par des sources souterraines qui venaient du Massif central. Ce qui expliquait d’après elle la pureté de son eau. Cette alimentation en tout cas devait être irrégulière puisque je l’ai connu assez haut pour me permettre d’entrer en kayak dans la salle à manger du mess et assez bas pour découvrir une bande littorale d’une dizaine de mètres. Ce gros pépère bien calme avait ses humeurs. Et même, c’était en 61 je crois, iI avait gelé. Et monsieur Lanusse qui tenait un restaurant près de la plage civile me disait moitié avec fierté moitié avec regret : « Vous savez, il y a sur ce lac des tempêtes teRRRRibles. Il y a même eu des morts ». Mais je n’ai jamais vu de vagues supérieures à quarante centimètres.
Pour y aller, à Cazaux, on pouvait évidemment prendre la route mais on pouvait aussi prendre le train a la gare de La Teste-de-Buch. Le petit train à vapeur de la compagnie Ortal, une des dernières, sinon la dernière compagnie ferroviaire privée. Les locomotives (il y en avait deux) chauffaient au bois et dataient de l’impératrice Eugénie. Elles étaient toutes petites mais superbes avec des commandes en cuivre, des cheminées hautes et droites, et toutes sortes de volants dont les rayons courbes étaient en forme de S. Elles tiraient sur douze kilomètres, de La Teste-de-Buch à Cazaux cinq wagons qui, à la différence des locomotives, accusaient leur âge. Douze kilomètres, quatre gares, quatre bistrots.
En se penchant sur la voie pour regarder les rails en enfilade on avait l’impression de voir une paire de spaghettis se tortiller vers l’infini. Je précise : des spaghettis cuits ! Car les non cuits sont droits. Ce parallélisme approximatif des rails expliquait sans doute la richesse des sensations dont bénéficiaient les voyageurs. A un mouvement de translation qui souhaitait être uniforme se superposaient des mouvements de lacet, de roulis et de tangage. Avec des gémissements, des grincements, des bruits de métal torture, des hurlements de rails hystériques, le tout accompagné par la ponctuation régulière des roues sur les joints de dilatation de la voie. Quant à la vitesse que j’ai chronométrée un jour en roulant en auto sur la route parallèle a la voie, elle ne devait pas dépasser les 35 kilomètres par heure.
Ce petit train avait eu aussi son heure de gloire. Et j’y étais ! Le conducteur découvrit un jour un feu de broussailles qui ardait le long de la voie. C’était peut-être ses propres escarbilles qui l’avaient allumé au passage précèdent. Il arrêta le train. Et les voyageurs furent priés de combattre I‘incendie. Ce qu’ils firent. Avec succès. Vous parlez d’une aventure ! A la gare suivante tout le monde avait soif. Nous prîmes le temps de nous installer sur les chaises dépareillées de la gare-bistrot et nous bûmes du « vin du Captal », un vin blanc, en bouteilles étoilées d’un litre. C’est à cette occasion qu’un compagnon de rencontre m’apprit que le Captal de Buch dont le portrait en armure figurait sur les étiquettes des bouteilles, était le seigneur de La Teste et l’un des plus valeureux adversaires de Du Guesclin. Je crus décent de boire a la sante de ce personnage et j’offris à mon tour un flacon de « vin du Captal ». Mais voyez comme vont les choses ! Au fur et à mesure que le niveau descendait dans les bouteilles, le feu se parait de couleurs plus vives et les flammes grandissaient dans notre imagination. Le feu de broussailles fut promu feu de forêt et nous regagnâmes Cazaux avec la satisfaction d’avoir épargné une mort horrible a toute une province.
La base (les Gens du pays disaient « le camp ») était commandée, la première fois que j’y suis allé, par le colonel Gavoille, vieux compagnon d’armes de Saint-Exupéry. C’était un personnage redoutable, d’une très grande vitalité avec un gros nez rouge et une voix !!! On l’entendait gueuler à un kilomètre. Le gros de son activité paraissait être de se trouver une victime et de la martyriser avec des trémolos de voix qui auraient fait le succès de n’importe quel acteur de théâtre. Nous le craignions fort et le vide se faisait autour de lui. Je l’ai mieux connu plus tard à Saint-Dizier et j’ai découvert un noble cœur. Mais voilà ! Il y avait la voix !
Comme unité aérienne sur la base il n’y avait guère que le C.T.B. (Centre de tir et de bombardement) qui armait quelques vieux P-47, avions à pistons qui dataient de la dernière guerre et qui remorquaient les cibles aériennes. Par la suite ces avions ont été remplaces par des Ouragan, et une division d’instruction, d’études et de recherches sur le tir aérien est venue s’ajouter cet ensemble avec quelques Mystère IV.
On raconte sur les biroutiers une histoire assez curieuse. Mais les gens sont méchants et moi aussi qui la répète. Tant pis ! Elle donne une idée de l’ambiance. Donc on raconte qu’un des biroutiers… Mais peut-être est-il bon de préciser que la biroute est une cible aérienne et que le biroutier est le pilote de l’avion avec lequel on remorque ladite cible. En général le biroutier décolle avec sa cible au derrière et se rend à la verticale d’un point convenu ou la patrouille, qui a décollé après lui, le rejoint. Il peut alors prendre son axe en mer, parallèlement a la cote et les avions de la patrouille peuvent commencer à tirer sur la fameuse biroute qui traîne derrière lui au bout de trois cents mètres de câble métallique. A l’époque les points de rendez-vous étaient Lacanau, Vieux-Boucau, Mimizan, localités faciles reconnaître le long de la grande plage qui va de Biarritz a la pointe de Graves. Tous ces exercices se déroulaient comme du papier à musique. Tout se faisait a vue évidemment, car il n’y avait pas de radar. En général ça se passait fort bien, mais voilà qu’un jour, patatras ! La patrouille revient sans avoir trouvé le biroutier au point de rendez-vous. C’était une mission foutue et le débriefing fut sévère. Le biroutier interrogé jura ses grands dieux qu’il avait attendu, à dix mille pieds, en virage à droite, à la verticale de Mimizan. Les quatre pilotes de la patrouille affirmaient, eux aussi, qu’ils avaient été à cet endroit-là et qu’ils n’avaient rien vu. Bizarre ! Mais voilà que deux jours plus tard : rebelote ! Avec le même biroutier ! La température du débriefing monta de plusieurs degrés. C’était encore une mission foutue. Mais le biroutier n’en démordait pas. Oui ! II avait bien été a la verticale de Mimizan (ou Lacanau, je ne sais plus) ! Oui il avait tourné sans voir personne ! Oui ! II avait entendu les appels radio de la patrouille ! Non ! Il n’avait vu personne ! Pourtant il faisait beau. C’était à n’y rien comprendre. Le commandant de l’escadron en campagne de tir jura d’en avoir le cœur net. II ne pouvait pas se permettre de perdre des missions comme cela. Le jour suivant, ayant appris que le biroutier en question était désigné pour une mission de remorquage, il décolla longtemps avant lui, se plaça à haute altitude au-dessus du terrain, le vit décoller et le suivit. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’il le vit foncer vers le sud-est alors que le point de rendez-vous était au nord-ouest. Voilà qui devenait intéressant ! II le suivit, toujours sans rien dire. L’autre cependant, descendait à basse altitude et se mettait à tourner régulièrement autour du village de Morcenx, en plein milieu de la forêt landaise. Ce qui ne l’empêchait pas de communiques par radio avec la patrouille avec laquelle il avait rendez-vous. « Je suis à la verticale de Lacanau. Non je n’ai pas le contact visuel ! Je suis en virage à gauche !… D’accord, je bats des plans (des ailes)… », etc.
Ce devait être son dernier vol. Convoqué par ses chefs il se vit infliger une punition sévère et éliminé du personnel navigant. Mais une question subsistait, à laquelle l’intéresse s’était obstinément refusé à répondre. Pourquoi ne pas exécuter la mission ? Pourquoi aller tourner au-dessus du village de Morcenx ? C’était bizarre, non ? Ce pilote quitta l’Armée sans donner la réponse. On découvrit le pot aux roses plusieurs années plus tard. A la suite de l’indiscrétion d’un mécanicien. Parce que les mécaniciens savaient, eux. En fait ils avaient toujours su. L’affaire avait commencé une ou deux semaines avant. Ce pilote avait été désigné pour une mission de liaison vers un terrain du Sud-Ouest, Tarbes, je crois. Mission sympa ! Mais, problème connu de tous les pilotes, comment se déplace-t-on lorsqu’on a coupé le moteur. C’est bien d’aller à Tarbes. Mais une fois posé, qu’est-ce qu’on fait ? Et en week-end en plus. Un terrain vide ! Peu de chances d’être pris en stop. Heureusement les mécaniciens avaient la solution. « Pourquoi tu n’emmènes pas ta moto ? Un P-47, ça peut porter des tas de choses. Ce n’est pas une moto qui va t’empêcher de décoller. Ne t’en fais pas ! On va te la brêler ta moto. » Comme prévu le P-47 avait allègrement décollé avec la moto sous le lance-bombes. Mais il devait y avoir une lacune dans le brêlage. La moto n’avait pas dépassé Morcenx. Et depuis il cherchait sa moto.
Le gros de l’activité aérienne était assuré par les escadrons de passage qui venaient chacun à leur tour passer un mois en campagne de tir. Ces escadrons étaient parqués dans les hangars nord, dans des conditions de confort dont il vaut mieux ne pas parler. Comme les locaux étaient dépourvus de chauffage, le père Gavoille avait imaginé et mis au point une sorte de machine à vapeur à chauffage mixte bois et charbon qui était censée délivrer de l’eau chaude dans des vieux radiateurs de récupération. Mais la vapeur, allez savoir pourquoi, préférait emprunter le chemin de la valve de sécurité que celui qui lui était offert. On entendait alors un sifflement, lequel était immédiatement suivi par un jet de vapeur propre à mettre le hangar en Q.G.O. (Pour les profanes Q.G.O. c’est, en code, l’interdiction absolue d’atterrir). II fallait alors se dépêcher d’éteindre le foyer. Puis on convoquait le préposé du service local constructeur, un civil, qui, si cela correspondait à ses horaires, arrivait sans se presser. Cependant le père Gavoille, averti par un pressentiment mystérieux, rappliquait en toute hâte et nous faisait une brillante démonstration vocale. Selon lui nous chauffions trop. Mais le réglage de sa machine était du tout ou rien. Pour avoir un semblant de tiédeur sur les radiateurs il fallait frôler la catastrophe. Ou ça ne chauffait pas ou c’était en panne.
Il y avait aussi sur la base un élément du centre d’essai en vol qui se livrait à des expériences mystérieuses sur le tir aérien. Le régime était assez détendu. La plupart des personnels de cette annexe étaient des civils qui habitaient à Paris. Un avion de transport partait de Brétigny le lundi matin et arrivait Cazaux vers les midis. Si le temps le permettait, évidemment. L’après-midi du lundi était consacré à l’installation et à la reprise en main. Le travail commençait le mardi matin et se terminait le jeudi soir. Le vendredi matin le même avion de transport ramenait tout le monde à la maison. Et le vendredi, le temps était toujours favorable. Tous ces braves gens étaient en frais de déplacement. J’ai eu par la suite, bien des années après, la chance d’être affecte à Cazaux. J’habitais au bord du lac une petite maison de poupée et de mon salon je pouvais apercevoir mon petit voilier qui se balançait sur son ancre au bout du jardin. J’ai appris à ce moment-là a connaitre les gens de Cazaux et a apprécier leur gentillesse. Pas question d’être assimilé, évidemment. Je restais un «estranger » et aurais-je habité pendant trente ans à Cazaux je le serais resté. Le boulanger du village qui venait de La Teste, à douze kilomètres de là, qui avait épousé une Cazaline, et qui fournissait son pain aux habitants depuis vingt ans, était et restait toujours un « estranger ». Alors moi, vous pensez ! Mais enfin, j’ai appris à les connaître, les Cazalins. Surtout par le biais de madame J., ma femme de ménage. C’était une femme courageuse, madame J. Elle travaillait dur, malgré son âge. Elle travaillait surtout pour nourrir son mari lequel était affecte d’un mal étrrange sur lequel les médecins perdaient leur latin. Cela durait depuis de nombreuses années. Tout était normal. On ne décelait rien mais voilà ! Il était toujours fatigue. Elle me disait :
— Le pauvre ! Avec ce qu’il a !
Mais qu’est-ce qu’il a, votre mari Madame J. ? Ah ! On ne sait pas. Mais en tout cas c’est grave. Elle ne désespérait pas, à force de soins et de petits plats succulents de venir à bout de la maladie. Les médecins lui avaient conseillé de le faire bien manger. Et effectivement le mari retrouvait un peu de vigueur. Les connaisseurs auront identifié tout de suite la maladie dont souffrait le mari de madame J. C’était une cazalite à son dernier degré. Vous ne connaissez pas la cazalite ? La cazalite est une maladie de langueur qui s’attrape après un long séjour a Cazaux. C’est une maladie terrible qui n’épargne personne. Elle a cependant une préférence pour les gens qui sont nés au sud de la Loire. Mais tous les sujets sont atteints, plus ou moins. Ce n’est heureusement pas une maladie mortelle, mais il n’y a pas de guérison. Des remissions quelquefois. On a observé en effet que la cazalite semble suspendre ses effets pendant les périodes de chasse à la palombe, A l’ouverture de la pêche et en septembre, a la saison des « bidaos ».
Car la grande affaire à Cazaux c’était la chasse, c’était la pêche et en septembre le ramassage des bidaos. Autrement dit le tricholome équestre, un champignon jaune et un peu gluant. S’ajoutaient à cela la passion pour le rugby et la rivalité des équipes de la Hume et de Gujan Mestras. Cela suffisait à entretenir les conversations pendant des heures. Ou même des jours entiers, comme la fois ou un chasseur maladroit avait tiré sur un de ses collègues, lequel était en l’occurrence le chef de gare de La Teste. « J’ai vu des cornes, protestait le coupable, j’ai tiré. » (Les poilus de 14-18 avaient l’habitude de chanter, lors du stationnement dans les gares : « II est cocu, le chef de gare ; s’il est cocu, c’est l’a bien voulu. « Tous les chefs de gare étaient donc supposes porter des cornes.)
Madame J. avait assisté aux débuts de la base de Cazaux. En quatorze ou en treize, je ne sais plus. Elle était à l’époque une toute jeune fille. Elle se souvenait du commandant Marzac, le fondateur de la base (elle disait : « du camp »). Les aviateurs de ce temps-là étaient de grands coquins (prononcez coquaings !!). Ils buvaient. Ils faisaient la fête. Ils donnaient aussi des baptêmes de l’air. Mais ils se faisaient payer pour cela. Pas de l’argent ! Non. En nature, si j’ose dire. Ah ! C’était trop tentant. J’ai osé poser la question de confiance :
— Et vous, madame J., vous l’avez fait le baptême de l’air ?
— Ah ! Je suis montée sur l’échelle. Et puis j’ai pensé à ma mère. Alors je suis redescendue.
Elle avait comme un peu de regret, madame J.
Une autre figure du village c’était Emile, le facteur. Long, maigre, taciturne. Tati dans Jour de fête. Il entretenait une meute de cinquante chiens, tous plus bâtards les uns que les autres. Son métier était dur. Les « arrousineys » les récolteurs de résine s’ennuyaient, tout seuls, dans les forêts des Landes. Pour pouvoir parler avec quelqu’un ils s’abonnaient au journal local. Par les gros temps de nord-ouest, l’Emile lestait sa besace d’une bonne trentaine de kilos de papier et enfourchait son vélo. Roule petit ! Dans le sable et sur les dunes et à travers les pares-feux. Il faisait des kilomètres, l’Emile, à travers le vent et la pluie pour retrouver au fond des bois les arrousineys ou les fabricants de charbon de bois, arrivait hors d’haleine. « Tu boiras bien un coup, l’Emile ! » Il buvait, le misérable. La bouteille étoilée, toujours. Le vin du Captal, le fameux Captal de Buch. Il rentrait le soir, d’une pédale zigzagante pour retrouver ses cinquante clébards en grand manque d’affection et de bonne soupe. Il se couchait avec eux. Dernière victime du Captal de Buch.
Je ne sais pas si les chiens étaient la cause ou la conséquence de sa solitude. Autrement dit, est-ce que sa femme l’avait quitté à cause des chiens ou est-ce qu’il avait accueilli les chiens à cause du départ de sa femme. Mais le fait est qu’il vivait seul pendant la plus grande partie de l’année. On prétendait qu’elle revenait le voir, à Noel, au moment des étrennes. Elle partait après avoir fait main basse sur le magot. II avait droit à une nuit d’amour par an, Emile. Était-elle bonne ? Je n’en sais rien.
Deux anecdotes encore en parlant de Cazaux. Ce n’était pas une base bien sérieuse. Lorsqu’on venait, comme c’était mon cas des frontières de l’Est, on était un peu surpris par la nonchalance des populations tant civiles que militaires. Je ne ferai qu’évoquer l’histoire de l’incendie de l’école des pompiers. Je n’y étais pas mais on m’a raconté que, dans des temps fort anciens, l’école des pompiers avait pris feu. Le matériel pour éteindre cet incendie existait, bien évidemment, mais il se trouvait à l’intérieur de l’école. Et l’école était fermée à clef. Qui avait la clef ? L’adjudant. Ou était l’adjudant ? Chez lui. C’est-à-dire sur la base. Hélas ! Ce soir-là il était allé au cinéma. On alla l’y chercher. Mais à son retour iI ne put que constater les dégâts.
Une autre histoire que j’ai personnellement vécue est celle de Rebecca. Rebecca, c’était une manœuvre que le commandement déclenchait inopinément. Donc une nuit, patatras ! Rebecca ! A une heure du matin ! Déloyal, non ? L’adjudant de semaine réveillé s’en alla réveiller le capitaine de semaine.Mon Capitaine, y’a Rebecca !
Parfait ! Avez-vous le dossier ?
Non, mon Capitaine.
Eh bien I Allez le chercher. Il est dans le coffre.
C’est-à-dire que… (suivit un silence gêné).
Mais enfin ! Expliquez-vous I
On découvrit alors le pot aux roses. Il y avait belle lurette que la clef du coffre-fort était perdue. Les adjudants de semaine en se passant les consignes le faisaient savoir à leur successeur. Celui-ci acceptait cette situation embarrassante en espérant que sa semaine se passerait sans qu’il fût nécessaire d’ouvrir ce fameux coffre. Ça avait fonctionné comme ça pendant longtemps.
J’ai un peu chargé mon portrait en décrivant Cazaux. Ça, c’était le Cazaux d’avant. Le stationnement d’une escadre de chasse, puis l’arrivée des Mirage IV des Forces aériennes stratégiques ont complètement changé l’ambiance, ainsi que l’action continue des commandants de base successifs. Le Cazaux d’après, c’était beaucoup mieux. Ça ronflait ! C’était efficace. Mais comme je regrette le Cazaux d’avant !
Vivre ça consiste surtout à tourner des pages. Il en est que l’on tourne plus volontiers que d’autres. Il en est que l’on tourne à regret. Ainsi de Cazaux. Dans une carrière bousculée par les déménagements successifs je n’ai jamais ressenti le besoin d’une halte. Sauf à Cazaux ! J’en garde le souvenir de somptueux couchers de soleil. Les couchers de soleil en Corse c’est quelque chose ! Mais ceux de l’Ouest, ça, c’est grand. Le ciel n’acquiert sa pleine dimension que lorsqu’il est peuplé. J’ai compté jusqu’à treize couches de nuages. Toutes colorées de façons différentes. Des cieux immenses, des couleurs infinies et des crépuscules interminables. J’ai rêvé confusément d’arrêter là ma course pour contempler, jour après jour, ces couchers de soleil jusqu’à ce qu’arrive le dernier. Le dernier de tous, celui qui précède la nuit définitive. Mais le temps n’était pas encore venu de déposer mon sac.
Le 1er septembre 1998, la base donne naissance au DA 136 au cours d’une cérémonie présidée par le Général Guéniot, commandant la région aérienne Nord-Est.
Le Détachement AIR du Lieutenant-colonel POUZET
Le Lieutenant-colonel Schaeffer passe le relais au Lieutenant-colonel Pouzet qui devient le premier commandant du Détachement air 136. Le détachement air 136 est autorisé à conserver l’insigne de la base aérienne.
Le lieutenant-colonel POUZET
Le 1er septembre 1998, l’organe liquidateur de la BA 136 est mis en place, il a 2 mois pour clore le dossier de dissolution de la BA 136. Le vendredi 9 octobre 1998, le Général Guéniot, commandant la région aérienne Nord-Est se rend sur le DA 136. Le but de cette visite est de vérifier le bon déroulement du passage en détachement air.
Le DA 136 se dote de son journal, il s’appelle “le courant d’air”.
Visite du général GUENIOT
Les coureurs sur les marches de l’hôtel de la ville de Toul
Téléthon 1998, plus de cent personnes chaussent leurs baskets pour effectuer un parcours de 6 ou 12 km. Un seul mot d’ordre ” rester groupir” jusqu’à la mairie de Toul…
Le jeudi 26 novembre 1998, l’armée de l’air rend hommage au Colonel de la Baume. Le centre de formation à l’appui aérien (CFAA) prend le nom “Colonel Charles de la Baume” au cours d’une cérémonie présidée par le Général Dumont, commandant la FAC. L’armée de l’air rend ainsi hommage au grand théoricien de l’appui aérien, mort en service commandé au Tonkin 50 ans plus tôt. Avant que la sonnerie aux morts soit jouée, Monsieur Alain de la Baume, fils du disparu, et le Général Dumont dévoilent une plaque sur le mur du CFAA 01.451.
Inauguration du CFAA
Le 19 mars 1999, le Colonel Broussard, commandant le 25ème régiment du génie de l’air, remet l’espace du pont d’Avrainville à Monsieur Borsa maire d’Avrainville. Pour donner suite à l’aliénation de la voie ferrée qui reliait les forces de l’OTAN de Toul-Rosières au réseau SNCF, le pont d’Avrainville a été détruit par la 5ème COGA. Ces travaux entraient dans le cadre de l’accord qui stipulait que les lieux devaient être remis conformes à l’origine après exploitation.
Remise de l'espace du pont d'Avrainville
Visite du major général WILSON
Le 8 mars 1999, le Major Général Wilson, qui fut l’un des premiers américains à poser le pied sur le sol de la base américaine (TRAB) en 1953, se rend en pèlerinage sur le site. Il est accompagné de Madame Wilson, sa femme, Madame Worley, veuve du Colonel Worley, sa fille, Madame Germano, veuve du Commandant Germano, et sa fille. Intéressées par les changements survenus depuis 1953, ces dames ont retrouvé, avec une certaine émotion, les terrains, désormais vagues, où étaient situés leurs “trailers”. Merci au commandant de réserve Houmeau, époux de Madame Houmeau du CST, qui leur a servi de guide pour la visite de Nancy. Ancien du CLA, notre réserviste maîtrise parfaitement la langue anglaise…
Vous avez dit bizarre ? Oui j’entends des bruits bizarres ! Le lundi 28 juin 1999, des bruits d’avions, familiers pour les anciens, moins connus pour les jeunes, se font entendre ? Serait-ce le retour d’aéronefs sur le site ? En raison de la réfection de la piste de la base de saint Dizier, une quarantaine de Jaguar et 5 Alphajet viennent occuper le terrain. Ce déploiement est possible grâce à la conservation des installations aéronautiques et permet la poursuite des entraînements des pilotes. La Zone Vosges est occupée par l’EC 03.007 et l’EC 01.007. Ce desserrement permet de vérifier l’option retenue lors du passage en DA, c’est à dire la réactivation opérationnelle du site et de la piste. Les avions resteront jusqu’au 3 septembre 1999 avec une fermeture des escadrons une quinzaine de jours en août.
Les Jaguar de retour à Toul
Présentation d'un Alphajet aux enfants
Le 20 juillet 1999, le DA 136 reçoit 14 enfants du centre aéré d’Ecrouves. “Dis mon Lieutenant, parle-moi du Jaguar”… Quoi de plus mignon qu’un visage d’enfant émerveillé devant un avion de chasse ? L’aspirant Belleoil, de l’escadron 02.007, déployé sur le site et chargé de présenter les avions aux enfants a certainement dû se poser cette question. Peut-être que plusieurs vocations sont nées sur le DA 136 ce 20 juillet, qui sait ?
Des lorrains en Macédoine ! Ils sont présents à Pétrovec et participent à la mission du détachement français. Le Détair (détachement air) créé le 12 juin 1999, représente 50% des effectifs. Considéré comme une petite base aérienne de projection, le Détair travaille avec l’Airport of Disembarkation (APOD). La Base aérienne de Nancy et le Détachement air de Toul-Rosières sont dignement représentés au sein de la KFOR. Au fait, avez-vous reconnu le quatrième de la rangée du bas, en partant de la gauche. Et oui, c’est notre “mercenaire du Vatican”, l’aumônier Griffond à qui nous devons ce reportage sur le courant d’air, merci padré pour votre article !
Des Lorrains en Macédoine
Résultats du passage de la tempête
Décembre 1999, la tempête s’est abattue sur le DA 136. On ne compte plus les dégâts. Il y a beaucoup d’arbres couchés, des bâtiments sans toiture, le dépôt de munitions n’a plus de clôture. C’est un immense chantier qui se met en place pour déblayer le bois mort, les tôles, la laine de verre, etc. Un arbre est tombé sur une voiture privée. Du travail pour les assurances et les carrossiers ! Et les militaires se transforment en bûcherons, coupant, taillant, réduisant en paillettes ce qui naguère était la richesse et la beauté de cette base…Les arbres qui ont souffert de la tempête sont coupés, et les stères semblent pousser sur le DA 136 comme des champignons… Le spectacle qui s’offre après l’accalmie, aux yeux des permanents, rappelle la vision d’un champ de bataille. La désolation est totale. La 5ème compagnie opérationnelle du génie entre en action.
Appel aux bûcherons volontaires
Les bûcherons à l'oeuvre
Les engins sont envoyés sur place, les sapeurs s’affairent pour déraciner les souches et faire tomber les arbres dangereux. L’EETIS Jaguar se transforme en compagnie de bûcherons et vient prêter main forte…
Le Détachement AIR sous le commandement du Colonel BOZZOLO
Le colonel BOZZOLO
Le 8 septembre 2000, le Général Perrollaz, commandant la région aérienne Nord, donne le commandement du Détachement air 136 au Lieutenant-colonel Bozzolo. L’escadron de chasse 02.007 Argonne, de la base de Saint-Dizier, organise le défilé aérien. Parmi les invités à cette cérémonie, on relève la présence du Général Longuet, commandant la FAC et celle du Général De Groësbriand, gouverneur militaire de Nancy. Au cours de cette cérémonie, l’Adjudant Lapray, de l’ESIC 81.136 et le Caporal-chef Kloster, de la SSIS, reçoivent la médaille d’argent de la défense nationale.
Le DA 136 représente une vaste étendue avec des bâtiments vides, des bâtiments endommagés par la tempête de 1999, de quoi permettre d’organiser l’examen de fin de formation des médecins de catastrophe. C’est ainsi que le samedi 16 septembre 2000, le service départemental d’incendie et de secours de Meurthe et Moselle organise, grandeur nature, la partie pratique de l’examen. Outre les 420 sapeurs-pompiers, ce sont 120 plastrons, dont 50 militaires du DA 136, qui se prêtent au jeu pour figurer les victimes. Malgré une météo peu favorable, on ne déplore aucun blessé à la fin de l’exercice.
En cette année, la piste est définitivement fermée. Les installations aéronautiques vont être démontées. Le détachement accueille le temps d’une manœuvre, l’aérostat du SYDEREC. On se croirait revenu au bon vieux temps de l’aérostation. Ce ballon sert aux communications hertziennes.
L'aérostat du SYDEREC
Le dernier journal le courant d’Air (numéro 7) sort de l’imprimerie. Faute de crédits suffisants et de commanditaires, il faut se rendre à l’évidence, le journal ne paraîtra plus. C’est un moyen de communication qui s’en va, signe avant-coureur de la fin du DA 136… Depuis l’année 2000, le démantèlement du DA 136 a débuté. Cette opération est effectuée selon un canevas bien précis. Tout d’abord il faut recenser les sites pollués, et il y en a, les installations américaines de l’ancien carré des affaires sont toujours présentes. Les anciennes cuves à fuel n’ont pas été démontées…Dans un second temps, il faut évaluer le coût de la dépollution. Le bureau environnement ne chôme pas. Le DA 136 n’est pas à l’abri de l’amiante. Les constructions de 1952 en comportent et il faut l’enlever. La procédure est bien figée par des textes réglementaires, elle a aussi un coût… Les bilans sont réalisés pendant les années 2000 et 2001. Les demandes de crédits sont effectuées auprès de l’administration centrale. Toutes les opérations qui peuvent être effectuées par le personnel du DA 136 sont programmées.
Au mois d’octobre 2000, commence le démontage du silencieux du banc d’essais réacteur. Ce silencieux est repris par la direction des constructions navales. Une entreprise civile est chargée du travail…Une fois le démontage terminé, les camions évacuent les morceaux du puzzle.
Démontage du silencieux du banc réacteur
En juin 2001, les anciennes cuves sont vidangées puis démontées. Le travail est confié à une entreprise civile. En octobre 2001, une vaste opération de nettoyage de l’ancienne aire à feu des pompiers est déclenchée. Deux carcasses de Mirage 3 sont à enlever. La première carcasse est remise sur ses roues et est transportée par la route…la seconde carcasse est transportée dans un camion de la 5ème COGA.
S’agissant de l’ESIC 81.136, la première tranche concerne les antennes du PC enterré qui sont démontées à partir de février 1999.
Enlèvement des antennes du PC enterré
L’antenne du TACAN est démontée le 7 juin 2002
Enlèvement de l'antenne TACAN
Démontage du centre émission
Le 22 octobre 2002, le démontage se poursuit, c’est au tour du centre émission d’être l’objet du grand nettoyage. C’est une entreprise civile qui est chargée du démontage. L’opération se passe sans problème.
Le major CAUVEZ
Le Major Cauvez, réserviste au grand cœur, s’est joint à l’équipe de démontage. Malheureusement il nous quittera à cause d’une maladie foudroyante, quelque temps après. Un de ses subordonnés dira, le jour de ses obsèques, “je ne perds pas un chef mais un ami” Merci Jean-Yves pour ce que tu as accompli avec nous.
On déterre les cuves
Le DA 136 ressemble à un vaste chantier, la dépollution bat son plein, on déterre les cuves, on fouille le sol, on recense çà et là les pollutions pour pouvoir rendre un terrain propre.
Démolition des vieilles bâtisses
Les vieilles bâtisses sont démontées, en vertu du principe de précaution, il ne doit pas rester une construction dangereuse…
C’est une drôle de sensation qui vous envahit lorsque vous marchez dans les rues du DA 136, vous avez une impression de silence qui dérange, les oiseaux volent dans le ciel, la nature reprend ses droits et la verdure recouvre déjà certains bâtiments…pire encore, si vous revenez dans des endroits que vous avez fréquenté, c’est une impression de vide qui vous met mal à l’aise, il ne reste plus rien ou presque…Celui qui a connu la base de Toul-Rosières à son Zénith ne peut que verser une larme en la voyant sombrer vers le Nadir, hélas c’est le triste sort qui lui a été assigné par notre administration centrale…
Le DA du Lieutenant-colonel CASTEL
Le Lieutenant-colonel Castel a pris le commandement du DA 136 le 26 juin 2002. Il est le dernier commandant du site.
C’est à lui que revient la lourde tâche d’accomplir la dernière mission du DA 136 : parachever le démontage des installations et remettre officiellement les clefs du site à la BA 133 de Nancy, le 31 août 2004. A cette date le Détachement air passera en point sensible isolé et sera rattaché à Nancy. C’est également lui qui remettra le drapeau de la 11ème escadre de chasse au Service Historique de l’Armée de l’Air, le drapeau dont le détachement air avait la garde, et qui a été fièrement arboré lors de toutes les manifestations et commémorations. Ce fut un honneur pour toutes et tous de défiler derrière ce drapeau chargé d’histoire.
Enfin, c’est lui aussi qui tourne la dernière page de l’histoire de Toul-Rosières, une histoire dont il a voulu qu’il en reste une trace. Il demande alors au Commandant Gérard Bize, son officier de réserve adjoint, d’écrire l’histoire du site. Le livre, qui porte le titre “du Zénith au Nadir” est imprimé et distribué à chaque militaire du DA 136. Il est également remis aux anciens commandants de la BA 136 et du DA 136, ainsi qu’aux personnes ayant participé à sa réalisation, en mettant leurs archives à disposition. Dans sa préface, le Général de corps aérien Charles Ricour, commandant la région aérienne Nord écrit : ” Et l’impensable a été imaginé, décidé, mis en œuvre pour aboutir en cette année 2004 à la fermeture de ce qu’il reste de la glorieuse base aérienne 136 de Toul-Rosières. Le détachement air 136 va être dissous et pour conserver la mémoire de cette période fabuleuse qui couvre 50 années de joies et de peines, le Colonel Castel, dernier commandant du site, a fait réaliser cet ouvrage magnifique”… La réalisation de l’exposition et du livre est l’œuvre d’une équipe, il était donc normal que l’on cite les différents participants.
Merci à ceux ont participé à la réalisation de cet ouvrage
Le soir une réception est organisée sur la DA 136, une exposition retraçant les 60 années de l’histoire de la base est présentée aux invités.
EPILOGUE
Yves Lemilbeau, ancien chef du simulateur de vol de la BA 136,ne peut se résigner à voir la base fermer et son histoire disparaître. Il décide de créer une association dont le but sera la conservation de l’historique et du patrimoine du site de Toul-Rosières. Cette association est déclarée en préfecture de Meurthe et Moselle, le 18 mai 2004, sous le nom de “TRAB136 “. Il recherche un président pour l’association et demande au commandant Bize d’en prendre la présidence. Après la cérémonie de dissolution du DA 136, le Colonel castel, dernier commandant du DA 136, confie,à Yves, les panneaux de l’exposition,le travail effectué ne devant pas se perdre. Yves décide alors de présenter les 60 années d’histoire dans les communes avoisinantes.
La première exposition se déroule à l’hôtel de ville de Toul, en présence du Général Ricour, commandant la région aérienne Nord et du Colonel Castel,commandant le DA 136.
La seconde exposition se déroule à Rosières, dans la salle des fêtes, à l’invitation du maire de l’époque. Cette exposition est combinée avec la commémoration de l’armistice ; elle connait un franc succès.
Notre camarade YvesLemilbeau nous quittera brutalement en 2007, victime d’une crise cardiaque. Les membres de l’association continuent son œuvre. C’était une de ses dernières volontés de pérenniser le devoir de mémoire entrepris un certain jour de mai 2004…
L’association sera dissoute le 30 juin 2017 suite à la construction du conservatoire de la BA.136.
Le site change (encore) de structure. Compte tenu du nombre d’articles (près de 300) et de photos (plusieurs milliers), il devenait indispensable d’en faciliter l’accès et surtout de donner une meilleure visibilité à celui qui vient visiter le site. Les modifications réalisées devraient aller dans ce sens.
Pour ce qui concerne les articles, il y a maintenant une page intitulée “LES ARTICLES” dans laquelle vous retrouverez tous les articles parus et présentés en différentes catégories, “Les OPÉRATIONS”, “Les Histoires de la 11EC”, “Ceux de la 11EC”, “ARMÉE de l’AIR / DIVERS” et “Les avions de la 11EC”.
Dans la page “ESCADRONS”, vous trouverez l’historique et un album photo (composée de plusieurs galeries) pour chaque unité.
Initialement le concept du site était celui d’un “album photos de famille” où on pouvait trouver en vrac, un peu comme on le fait pour les nôtres lorsqu’on les sort d’une boite à chaussures. Une page “PHOTOS” leur est désormais consacrée et dans chacune d’elle, un album vous sera proposé ; cette page est en évolution et régulièrement sera ajoutée un album, une galerie ou une modification.
NDLR : L’extension (ou plugin), application qui sert à gérer les photos n’est pas des plus faciles à utiliser et provoque parfois des “bugs” inattendus qu’il n’est pas évident de réparer. Ceci pour expliquer que parfois une galerie ou un album amenait sur une page “error 404″….
J’ai hésité à publier le rapport d’accident que m’a fait parvenir un collègue car je ne connaissais pas son niveau de confidentialité et que cela ne concernait pas directement la 11 EC. En fait quand on regarde l’analyse qu’a effectuée le BEA-É on retrouve des problèmes de formation et d’entrainement d’une escadre qui effectue beaucoup d’heures de vol en OPEX, genre de problème qu’a aussi rencontré la 11EC à son époque.
Et puis, j’ai trouvé des extraits de ce rapport sur le “net”, ce qui m’a “rassuré” quant au degré de confidentialité, mais surtout j’ai lu les commentaires qui vont avec… Ne mettre que des extraits ne permet pas de se faire une idée précise de ce qui s’est passé exactement. Pour ceux qui sont intéressés, je les invite à lire tout le rapport ; cela leur évitera de raconter n’importe quoi, recommandation qui est en ligne avec l’avertissement que fait le BEA-É au sujet de son utilisation.
AVERTISSEMENT : UTILISATION DU RAPPORT
L’unique objectif de l’enquête de sécurité est la prévention des accidents et incidents sans détermination des fautes ou des responsabilités. L’établissement des causes n’implique pas la détermination d’une responsabilité administrative civile ou pénale. Dès lors, toute utilisation totale ou partielle du présent rapport à d’autres fins que son but de sécurité est contraire à l’esprit des lois et des règlements et relève de la responsabilité de son utilisateur.
COMPOSITION DU RAPPORT
Les faits, utiles à la compréhension de l’évènement, sont exposés dans le premier chapitre du rapport. L’identification et l’analyse des causes de l’évènement font l’objet du deuxième chapitre. Le troisième chapitre tire les conclusions de cette analyse et présente les causes retenues.
Le BEA-É formule ses recommandations de sécurité dans le quatrième et dernier chapitre.
Sauf précision contraire, les heures figurant dans ce rapport sont exprimées en heure légale française.
SYNOPSIS
Date et heure de l’évènement : 9 janvier 2019 à 10h30
Lieu de l’évènement : Mignovillard (Jura)
Organisme : armée de l’air
Commandement organique : commandement des forces aériennes (CFA)
Unité : escadron de chasse (EC) 001.03 « Navarre »
Aéronef : Mirage 2000D n° 667
Nature du vol : mission d’entraînement à l’assaut en suivi de terrain (AST) dans le réseau très basse altitude (RTBA)
Nombre de personnes à bord : 2
Résumé de l’évènement selon les premiers éléments recueillis.
Le mercredi 9 janvier 2019, le Mirage 2000D n° 667 de l’EC 001.03 « Navarre » réalise une mission d’AST en conditions de vol aux instruments et en zone réservée. L’équipage est composé d’un pilote et d’un navigateur officier systèmes d’armes (NOSA). Après 10 minutes de vol en mode de suivi de terrain (SDT) dans le RTBA, l’équipage doit réaliser une simulation de passe de tir SCALP. Les contacts radar et radio sont perdus alors que l’aéronef survole la forêt de Mignovillard en virage par la droite. Des débris de l’aéronef sont retrouvés en fin de journée à 2 kilomètres au sud-est de cette commune. L’équipage est décédé.
Composition du groupe d’enquête de sécurité
un directeur d’enquête de sécurité du bureau enquêtes-accidents pour la sécurité de l’aéronautique d’État (BEA-É) ;
un directeur d’enquête de sécurité adjoint (BEA-É) ;
un expert technique (BEA-É) ;
un officier pilote ayant une expertise sur Mirage 2000D ;
un officier mécanicien ayant une expertise sur Mirage 2000D ;
un sous-officier ayant une expertise sur l’armement du Mirage 2000D ;
un médecin breveté supérieur de médecine aéronautique ;
un expert parachutiste de la direction générale de l’armement – Essais en vol (DGA EV) ; – un enquêteur de première information (EPI).
Autres experts consultés
direction générale de l’armement – Essais propulseurs (DGA EP) ;
direction générale de l’armement – Techniques aéronautiques (DGA TA) ; – direction générale de l’armement – Essais en vol (DGA EV) ;
atelier industriel de l’aéronautique (AIA) de Bordeaux ;
escadron d’instruction et d’utilisation opérationnelle et technique (EIUOT) 67.430 ; – institut de recherche biomédicale des armées (IRBA) ;
Dassault Aviation ;
Météo-France.
1. RENSEIGNEMENTS DE BASE
1.1. Déroulement du vol
1.1.1. Mission
Type de vol : circulation aérienne militaire tactique (CAM T)
Type de mission : mission d’entraînement à l’assaut en SDT dans le RTBA.
Dernier point de départ : base aérienne 133 de Nancy-Ochey
Heure de départ : 10h08
Point d’atterrissage prévu : base aérienne 116 de Luxeuil Saint-Sauveur
1.1.2. Déroulement
1.1.2.1. Contexte du vol
L’équipage du Mirage 2000D accidenté est composé d’un pilote qui est qualifié pilote de combat opérationnel (PCO) et d’un NOSA qui est qualifié sous-chef navigateur (SCN). Tous deux reviennent de congés de fin d’année le lundi 7 janvier 2019. Ils n’ont pas volé en métropole depuis plusieurs mois. En effet, en octobre et novembre 2018, le pilote a participé à une opération extérieure (OPEX) à N’Djamena au Tchad peu de temps après l’obtention de sa qualification de PCO. En décembre 2018, il a réalisé un convoyage d’une dizaine d’heures de vol d’un Mirage 2000D vers N’Djamena. Pour sa part, le NOSA a enchaîné deux OPEX l’une à la suite de l’autre. Il a donc passé 4 mois à N’Djamena, d’août à novembre 2018. À l’issue, il a pris des congés. Durant ces OPEX, le pilote et le navigateur ont principalement réalisé des missions en haute altitude. Ils ont eu toutefois l’occasion de faire quelques missions de maintien en conditions opérationnelles (MCO), notamment d’AST.
Un programme dit « de reprise » leur est assigné par leur commandant d’escadrille à leur retour de congés. Le lundi, ils réalisent ensemble une séance au simulateur consacrée aux pannes nécessitant des réactions d’urgence et à la mécanisation des procédures de SDT. Le mardi, le pilote doit effectuer une mission de combat aérien mais l’avion de son leader est indisponible. Il effectue en remplacement une mission de voltige et des approches finales aux instruments. Le navigateur doit également voler mais il choisit de ne pas réaliser le vol pour participer à une rencontre avec des cadres de la direction des ressources humaines de l’armée de l’air (DRH-AA) présents sur la base aérienne.
Le mercredi, ils sont planifiés sur deux missions. La première mission est un entraînement à l’AST dans le RTBA, dénommé AST 4. Elle est réalisée en avion isolé. Deux simulations de passe de tir SCALP sont prévues. À l’issue, ils doivent atterrir à Orange pour une remise en œuvre de l’avion par l’équipage et une pause déjeuner. L’après-midi, ils doivent réaliser une seconde mission qui consiste en un vol d’assaut à vue en patrouille légère (deux avions) avec un autre appareil. Ce dernier aura effectué le matin la même mission qu’eux, en les précédant de 5 minutes sur l’itinéraire emprunté et en atterrissant également à Orange. À l’issue de cette seconde mission, les deux appareils doivent se poser à Nancy.
L’indicatif de l’équipage de l’avion accidenté est Coca 27 ; celui de l’équipage de l’autre avion est Coca 26.
1.1.2.2. Préparation du vol
Les préparations des missions du mercredi ont lieu la veille des vols. À 15 heures, les deux équipages se réunissent sous la supervision du pilote de Coca 26, qui est qualifié chef de patrouille (CP). Ensuite, les deux NOSA ainsi que le pilote de Coca 27 préparent la mission du matin, sous la supervision du NOSA de Coca 27. Le pilote de Coca 26 prépare de son côté la mission de l’après-midi, qui doit être briefée pendant l’escale à Orange. Toutefois, les prévisions de vent sur Orange n’étant pas favorables, une modification de la mission est étudiée, en accord avec le commandant d’escadrille. Cette modification prévoit de raccourcir le vol par une sortie du RTBA en région Centre, sous contrôle de l’approche d’Avord, et d’effectuer un transit retour vers Luxeuil. La préparation des missions est finalisée vers 17h15. Le commandant d’escadrille rédige l’ordre de vol nominal le soir, avant de quitter l’escadron tandis que le NOSA de Coca 27 se rend à son rendez-vous avec la DRH-AA.
Le matin du vol, les deux équipages se retrouvent à 8 heures pour actualiser les éléments. Ne pouvant assister au briefing météorologique quotidien à 8h30, ils récupèrent les informations sur le réseau intranet. Ils contactent également le service météorologique de la base pour connaître les conditions sur tout le trajet prévu. Les prévisions de vent défavorables étant confirmées à Orange, la mission est modifiée comme étudiée la veille. Le commandant d’escadrille réécrit alors l’ordre de vol adapté à la nouvelle mission. Il autorise le vol à une hauteur de 300 pieds-sol et l’emploi de tous les modes de SDT. Cette première mission étant réalisée en avion isolé, chaque équipage la briefe alors de son côté vers 8h50, pendant une demi-heure. Puis ils rejoignent simultanément leur avion.
1.1.2.3. Description du vol et des éléments qui ont conduit à l’évènement
Coca 26 décolle de Nancy-Ochey à 10h01 ; Coca 27 à 10h08. Ils débutent leur vol de Nancy vers Luxeuil par un transit d’environ 5 minutes à une altitude de 5 000 pieds pour Coca 26 et 6 000 pieds pour Coca 27. Ils sont alors successivement sous contrôle radar des approches de ces deux terrains et évoluent entre deux couches nuageuses. À l’issue de ce transit, ils descendent en très basse altitude (TBA) en traversant une couche nuageuse. Ils intègrent le RTBA à 10h15 pour Coca 26 et 10h20 pour Coca 27 et débutent le vol en SDT, tout en maintenant cet espacement de 5 minutes. Ils évoluent alors dans un espace aérien non contrôlé mais interdit de pénétration aux autres usagers, et assurent leur navigation de façon autonome. Pendant le vol dans le premier tronçon du RTBA, ils évoluent à une hauteur minimale de 300 pieds, essentiellement sous la couche nuageuse et en vue du sol. Au bout d’environ 4 minutes, ils doivent remonter au-dessus de 800 pieds sol car le plancher du RTBA est rehaussé à partir de cet endroit.
Au début du deuxième tronçon, ils redescendent à une hauteur minimale de 300 pieds car le plancher du RTBA est à nouveau abaissé au niveau du sol. Néanmoins, quelques instants plus tard et suite à une erreur de manipulation qu’il décèle, le pilote de Coca 26 décide de sélectionner un mode de SDT correspondant à une hauteur de 800 pieds.
À la fin du deuxième tronçon de vol dans le RTBA, vers 10h24, Coca 26 réalise sa première simulation de passe de tir SCALP. À ce moment, il vole dans les nuages. Coca 27, qui évolue 5 minutes derrière et plus bas, suit le même itinéraire et prépare sa simulation de passe de tir. Un pied vaut 30,46 cm. Hauteur : distance verticale entre un aéronef et la surface qu’il survole.
1.1.2.4. Reconstitution de la partie significative de la trajectoire du vol
Sur le tronçon pendant lequel la première simulation de passe de tir SCALP est prévue, Coca 27 est détecté par les radars en évolution à une altitude comprise entre 3 300 et 3 400 pieds, ce qui correspond à une hauteur de 300 pieds environ. Peu de temps avant le point où est prévue cette simulation de passe de tir, aux alentours du village de Frasne, deux témoins voient brièvement passer l’avion en très basse altitude pendant quelques secondes avant que celui-ci ne pénètre à nouveau dans les nuages. Ils ne distinguent ni feu ni fumée sur l’appareil. Au point prévu pour la simulation de passe de tir, le Mirage 2000D engage un virage à droite, détecté par les radars. Il percute le sol dans la forêt de Mignovillard, à 2 kilomètres au sud-est du village. Au moment de l’accident, deux témoins situés légèrement au nord du point d’impact voient une boule de feu.
1.1.3. Localisation
Lieu : pays : France – département : Jura – commune : Mignovillard – coordonnées géographiques : N046°46’54”/E006°09’15” – altitude topographique du point d’impact : 882 mètres soit 2 895 ft6 ; 6 ft : feet – pied (1 ft = 9,81 m/s2).
Moment : jour
1.2. Dommages corporels
Le pilote et le navigateur sont décédés.
1.3. Dommages à l’aéronef
L’aéronef est détruit.
1.4. Autres dommages
Le carburant de l’aéronef (environ 4,7 t restantes au moment du crash) a pollué la zone d’impact. De plus, des arbres ont été coupés ou arrachés tandis que d’autres ont été brûlés sur une face.
1.5. Renseignements sur l’équipage
1.5.1. Commandant de bord, NOSA
Âge : 29 ans
Unité d’affectation : EC 001.03 « Navarre »
Formation : qualification : SCN depuis le 1er avril 2018 –
école de spécialisation : école de l’aviation de chasse (EAC) de Tours
Heures de vol comme NOSA :
Heures de vol NOSA
– Date du précédent vol sur Mirage 2000D : de jour le 23 novembre 2018 en OPEX.
1.5.2 Pilote
Âge : 30 ans
Unité d’affectation : EC 001.03 « Navarre »
Formation : qualification : PCO depuis le 7 septembre 2018 – école de spécialisation : EAC de Tours
Heures de vol comme pilote :
Heures de vol Pilote
Date du précédent vol sur Mirage 2000D : de jour le 8 janvier 2019
Date du dernier contrôle en vol (annuel) sans visibilité (dit « vol VSV ») : 17 septembre 2018
1.6. Renseignements sur l’aéronef
Organisme : armée de l’air
Commandement d’appartenance : CFA
Aérodrome de stationnement : base aérienne 133 de Nancy-Ochey
Configuration : 2 réservoirs pendulaires de 2 000 litres chacun
Infos aéronef
1.6.1. Maintenance
L’examen de la documentation technique témoigne d’un entretien conforme au plan de maintenance approuvé.
La veille de l’accident, le SDT a été testé en vol conformément aux directives de l’autorité technique (DGA8). En effet, suite à un dysfonctionnement du SDT d’un Mirage 2000N en mai 2012 alors qu’aucune panne n’avait été déclarée, l’industriel a imposé de réaliser un test en vol du SDT tous les 3 mois sur la flotte Mirage 2000N et 2000D. Le test réalisé le 8 janvier 2019 sur le Mirage 2000D n°667 indique un fonctionnement nominal. D’autre part, au cours de plusieurs vols non consécutifs entre le 29 mai et le 5 septembre 2018, les équipages ont constaté l’apparition d’une panne sur le circuit de tir normal des armements air-sol. Les dépannages effectués à l’issue de chaque vol n’ont pas permis de trouver la cause du fait technique. Après échanges standards de plusieurs éléments, l’ESTA a édité un compte rendu de fait technique (CRFT) qui demandait aux équipages de réaliser au moins 6 vols avec passe de tir avant de considérer la panne comme résorbée. Durant ces vols, la panne est réapparue. L’ESTA était en cours de rédaction d’un nouveau CRFT au moment de l’évènement.
1.6.2. Performances
Compte tenu de la masse et des conditions de température et d’altitude de vol, l’appareil avait des performances compatibles avec la réalisation du vol.
1.6.3. Masse et centrage
Masse au décollage calculée : 14,850 t.
Masse estimée au moment de l’évènement : 13 tonnes. Masse maximale au décollage : 16 tonnes. Le centrage est dans les limites autorisées.
1.6.4. Carburant
Type de carburant utilisé : F-34
Quantité de carburant au décollage : 6,230 t
Quantité de carburant estimée au moment de l’évènement : 4,7 t
1.7. Conditions météorologiques
1.7.1. Prévisions
1.7.1.1. TEMSI
La carte du temps significatif (TEMSI) en basse altitude éditée par Météo-France et valide le 9 janvier 2019 à 9h00 UTC (10h00 locales) indiquait dans la région de l’accident :
– une visibilité réduite, localement nulle en montagne ;
– des risques d’averses de pluie, localement de chutes de neige en montagne ;
– une température au sol de 0° C.
De plus, les prévisions dans la zone de l’accident indiquaient un vent faible en basse altitude, entre 5 et 10 kt du secteur nord-nord-ouest.
1.7.1.2. Coupe d’humidité
Météo-France a fourni des coupes d’humidité AROME sur le trajet Lure-Besançon-Pontarlier-Mouthe, trajet proche de celui suivi par Coca 27. Celles-ci présentent en coupe verticale sur le trajet demandé les prévisions d’humidité en pourcentage. L’altitude-pression en hPa est donnée en ordonnées. L’étude des coupes d’humidité sur ce trajet à 10h et 11h montre que la couche nuageuse était épaisse dans la région traversée par Coca 27. La zone violette correspond à une tranche d’humidité supérieure à 90 %. Les nuages se situent majoritairement dans cette tranche, au-delà de 95 % d’humidité. Il n’est pas possible de connaître précisément la hauteur entre le sol et la base des nuages.
1.7.2. Observations
La carte des radars météorologiques de 10h30 montre la présence de précipitations dans la zone de l’accident. Les précipitations sont faibles ; quelques gouttes sont observées sur le lieu exact de l’accident. Les différents témoignages recueillis ne permettent pas de confirmer s’il y avait des chutes de neige au moment précis de l’accident. Toutefois, les témoins qui ont vu l’avion vers Frasne indiquent qu’il ne neigeait pas à cet endroit et que le plafond était bas. Deux autres témoins ont vu une boule de feu au moment de l’accident. La base des nuages ne rejoignait donc pas le sol à cet endroit.
1.8. Aide à la navigation
Le Mirage 2000D est équipé d’un GPS, de deux centrales à inertie, d’une visualisation tête haute (VTH) et de 2 visualisations tête basse (VTB). Le GPS et les deux centrales à inertie ont été retrouvés.
1.9. Télécommunications
Au moment du crash, Coca 26 et 27 sont dans un espace aérien non contrôlé. Ils ne sont donc pas en contact radio avec un organisme de contrôle aérien. Néanmoins, ils émettent régulièrement des messages de position sur une fréquence UHF d’auto-information. Le dernier message de Coca 27, reçu et enregistré par Coca 26 quelques minutes avant l’accident, vers 10h25, est : « Coca 27, Mirage 2000D, west Besançon, heading 130 inbound Pontarlier, low level network13. ». Ce message est conforme et n’appelle aucune remarque.
1.10. Enregistreurs de bord
Plusieurs éléments susceptibles de contenir des informations enregistrées des paramètres ESPAR (enregistrement statique de paramètres de vol) sont présents dans le Mirage 2000D.
1.10.1. ESPAR14
Le Mirage 2000D est équipé d’un système d’enregistrement de données d’accident ESPAR. Il a été très fortement endommagé au moment de l’impact. Plusieurs pièces ont été retrouvées, éparpillées sur le site :
– le boîtier de protection statique externe ;
– le boîtier de protection statique interne, extrait du boîtier externe ;
– la carte électronique, extraite du boîtier interne ;
– les deux puces électroniques (2 capots et 2 fonds séparés), normalement soudées sur la carte mais détachées ;
– 2 modules de mémoires sur les 16 (8 par puce) que contenaient les deux puces.
1.10.2. Calculateur moteur
Le calculateur du moteur M53 dispose d’une mémoire statique enregistrant la dernière panne moteur constatée. La coque du calculateur a été retrouvée mais la majeure partie des cartes électroniques est manquante. La carte du calculateur contenant la mémoire flash n’a pas été retrouvée.
1.10.3. Cassette magnétique Hi8
La VTH du pilote ainsi que les conversations et signaux sonores sont enregistrés sur une cassette magnétique au format Hi8 au travers d’un magnétoscope. Cette cassette n’a pas été retrouvée.
1.10.4. GPS
Le GPS a été retrouvé. Il contient une mémoire flash enregistrant la dernière position reçue. Elle doit être alimentée en permanence pour conserver l’information enregistrée. L’expertise a déterminé qu’après l’accident, il n’y avait plus d’alimentation électrique dans le boîtier GPS. La mémoire flash a donc perdu son alimentation suite au crash et n’a pas pu conserver les données enregistrées.
1.11. Constatations sur la zone d’impact et l’aéronef
1.11.1. Examen de la zone d’impact
Le Mirage 2000D a heurté le sol dans une zone forestière composée de sapins. Le terrain est en légère pente. Le sol était enneigé au moment de l’accident. Peu de temps après, les chutes de neige ont repris, compliquant les constatations sur le site. Sur la zone de l’accident, un cratère peu profond est retrouvé au point d’impact ainsi que des arbres coupés net.
1.11.2. Examen de l’épave
L’aéronef est dispersé au sol. Les débris sont éparpillés dans la forêt et dans des champs, dans une zone d’un kilomètre de long sur 300 mètres de large. Un parachute, celui du pilote, retrouvé accroché dans un arbre, a permis de localiser le site de l’accident. Les éléments de l’ESPAR ont été retrouvés proches du point d’impact. Du fait des chutes de neige peu de temps après l’évènement, une partie des pièces n’a pu être ramassée qu’après la fonte des neiges 3 mois plus tard. La taille des débris ainsi que l’étendue de la zone de dispersion témoignent d’un impact à très haute énergie.
1.12. Renseignements médicaux
1.12.1. Commandant de bord
Dernier examen médical : type visite révisionnelle au centre principal d’expertise médicale du personnel navigant (CPEMPN)15 du 7 décembre 2018. Résultat : apte NOSA de combat jusqu’au 31 décembre 2019
Examens biologiques : effectués
Blessures : mortelles
1.12.2. Pilote
Dernier examen médical : type visite révisionnelle au CPEMPN du 11 septembre 2018. Résultat : apte pilote de chasse jusqu’au 30 septembre 2019 – Examens biologiques : effectués
Blessures : mortelles
1.13. Incendie
Sur le lieu du point d’impact, certains arbres sont brûlés du côté de l’axe d’arrivée du Mirage 2000D. De plus, des témoins ont vu une boule de feu s’élever dans le ciel. Néanmoins, la majeure partie des débris est retrouvée non brûlée.
1.14. Questions relatives aux opérations de secours
1.14.1. Déclenchement de l’alerte
L’alerte est déclenchée à 10h59 par le chef contrôleur du centre de détection et de contrôle (CDC) 05.942 de Lyon-Mont Verdun. Il contacte pour cela le centre de coordination de sauvetage (CCS) de Lyon afin de lui notifier la perte de contact avec Coca 27. La phase d’urgence INCERFA est déclenchée à 11h07. Après confirmation par l’approche d’Avord que Coca 27 n’a pas fait l’objet d’une prise en compte radar pour un retour vers Luxeuil, l’ARCC déclenche une opération de search and rescue (SAR) à 11h26, en accord avec la haute autorité de défense aérienne (HADA). La phase d’urgence DETRESFA est déclenchée à 11h50. En parallèle et suite à l’exploitation des restitutions radar, le CCS contacte les préfectures du Jura et du Doubs à 12h39 pour demander une opération de sauvetage aéroterrestre (SATER) dans les deux départements.
1.14.2. Organisation des secours
L’opération SAR dure 48 heures, jusqu’au 11 janvier au matin. Les recherches aériennes et terrestres sont toutefois suspendues le soir du 1er jour en raison de la tombée de la nuit et des mauvaises conditions météorologiques. Le CCS mobilise 7 hélicoptères qui se relaient sur site. Le premier aéronef arrive le 1er jour à 12h20. Les préfectures du Jura et du Doubs mobilisent de nombreux services de l’État, dont la gendarmerie départementale, des unités de gendarmerie mobiles ainsi que les deux services départementaux d’incendie et de secours (SDIS). Des associations sont également mobilisées. Un poste de commandement opérationnel (PCO), en charge de conduire les recherches terrestres dans le cadre du plan SATER, est installé dans la salle du conseil de la mairie de Mignovillard. La zone de crash étant confirmée dans le Jura, la préfecture du Doubs est désengagée le soir du 1er jour. Les recherches prennent fin le deuxième jour à 17h45 pour la partie aérienne et à 22h48 pour la partie terrestre. Le deuxième jour, un manque de coordination a affaibli les remontées d’informations quant à l’avancée de l’opération SATER vers le CCS, rendant difficile la conduite de l’opération par ce dernier. L’opération SAR est clôturée le 11 janvier 2019 à 11h49 après que tous les moyens aériens déployés se sont posés sur leur base mère. Les éléments retrouvés sur le site confirment qu’il n’y a pas eu d’éjection de l’équipage. La présence d’un parachute dans l’arbre est due à la dislocation de l’appareil à l’impact et non à une éjection effective.
1.15. Essais et recherches
Les éléments ci-dessous ont été expertisés :
des instruments de bord et le carburant par DGA EP ; – des éléments du moteur par l’AIA de Bordeaux ;
des éléments de la cellule par DGA TA ;
des éléments des sièges éjectables par DGA EV ;
les données météorologiques par Météo-France ;
les données radar par l’EIUOT 67.430.
1.16. Renseignements sur les organismes
L’équipage et l’avion appartiennent à la troisième escadre de chasse (3 EC), implantée sur la base aérienne 133 de Nancy-Ochey. Cette escadre comprend trois escadrons de chasse, un escadron de transformation des équipages Mirage 2000D (ETD) et un ESTA. Cette escadre est la seule à être équipée de Mirage 2000D. Ses missions principales sont le bombardement, l’appui des troupes au sol et l’assaut tout temps en SDT. Le Mirage 2000D peut tirer de nombreuses bombes conventionnelles ou guidées ainsi que le missile de croisière SCALP. Dans le cadre de l’opération Barkhane, la troisième escadre déploie des Mirage 2000D et du personnel à N’Djamena au Tchad, et à Niamey au Niger. Le personnel participe ainsi régulièrement à ces OPEX.
1.17. Renseignements supplémentaires
1.17.1. Suivi de terrain
Afin de réaliser des missions de pénétration très basse altitude, les équipages de Mirage 2000D utilisent le SDT. Pour cela, le radar Antilope de l’avion scanne le terrain situé devant lui et présente les informations d’échos de sol aux équipages sur une coupe verticale au travers de la VTB. Le pilote sélectionne une hauteur de consigne en centaine de pieds qui correspond à celle à laquelle il veut évoluer au-dessus du sol. Selon le mode de pilotage choisi, le pilote surveille ou gère sa hauteur en faisant en sorte que les échos de sol glissent en-dessous des courbes jaunes, appelées communément les « skis ». Cela garantit de maintenir la hauteur de consigne. Le pilote peut également rajouter aux informations du radar des données issues d’un fichier contenant une numérisation du sol. Ces données ne prenant pas en compte les obstacles, le pilote doit alors rajouter une hauteur de structure à sa hauteur de consigne. D’autre part, le pilotage de l’avion peut être réalisé en automatique, à l’aide du pilote automatique (PA) ou en manuel mais de façon temporaire. En pilotage manuel, le PA est désactivé par pression sur une gâchette située sur le manche du pilote. Ce dernier doit alors interpréter les informations présentées en VTB et définir lui-même la trajectoire de l’avion. Le pilotage de la pente se fait grâce aux « skis », celui de l’inclinaison au moyen des consignes présentées en milieu de VTB.
Ainsi, en SDT, les équipages disposent de plusieurs modes, dont :
auto radar : pilotage automatique en prenant pour référence les informations du radar ;
auto fichier : pilotage automatique en prenant pour référence les informations du fichier ; Le pilote rajoute alors une hauteur de structure définie à partir de la hauteur des obstacles présents autour de la trajectoire. Ce mode inhibe le dégagement automatique de l’avion
TBA : pilotage manuel en prenant pour référence les informations du radar.
Le répertoire d’emploi de l’aviation de chasse (REAC) précise que le SDT auto radar est le mode préférentiel quand il est possible en espace aérien réservé. Le mode TBA ne peut être que temporaire car il requiert d’importantes ressources cognitives. Dans ce mode, le navigateur doit se trouver dans la même visualisation en VTB que le pilote et doit surveiller le pilotage.
1.17.2. Procédure de « dégagement » en SDT
Afin d’éviter une collision imminente avec le sol en SDT, une procédure d’urgence appelée « dégagement » existe. Elle est réalisée automatiquement en cas de vol en mode automatique ou manuellement en se rapprochant autant que possible du mode automatique en cas de vol en mode TBA. La procédure de « dégagement » d’urgence en automatique comprend les phases suivantes :
remise à plat des ailes puis un cabrer à quelques g pendant plusieurs secondes par le PA ;
annonce « plein gaz sec (PGS) » suivie de la valeur de l’altitude de sécurité19 par le NOSA ; – annonce « je passe à la boule » et affichage PGS par le pilote ;
à l’issue et au retentissement d’une alarme sonore appelée « dong », reprise des commandes par le pilote ;
passant l’altitude de sécurité, passage trois quart dos pour interrompre la montée et redescendre vers l’altitude de sécurité avec une pente maximale de -10° ;
annonce « on prend le cap xxx° » par le NOSA ;
stabilisation à l’altitude de sécurité, prise de cap et traitement de l’incident ;
en cas de bon fonctionnement du système, reprise du SDT.
La procédure de « dégagement » en manuel est identique mais elle est initiée et pilotée par le pilote.
2. ANALYSE
L’analyse qui suit est structurée en quatre parties. La première partie présente les résultats des différentes expertises, la deuxième analyse la trajectoire, la troisième synthétise la séquence de l’évènement et la quatrième identifie les causes de l’accident.
2.1. Expertises techniques
2.1.1. ESPAR
L’ESPAR a été fortement endommagé pendant l’évènement. Seulement deux modules de mémoire sur les 16 que contenait l’ESPAR ont été retrouvés. Ils sont inexploitables. Les actions de l’équipage et le comportement de l’avion ont dû être déduits par d’autres voies et ne sont pas connus avec précision.
2.1.2. Enregistrements des radars au sol
Les données issues des différents radars au sol civils et militaires ayant détecté Coca 27 ont été expertisées par l’EIUOT 67.430 de Mont-de-Marsan. La trajectoire de Coca 27 a ainsi pu être reconstituée intégralement, ainsi que celle de Coca 26. Cette trajectoire est conforme à la préparation de mission jusqu’à la fin du tronçon rehaussé. Ensuite, deux évolutions verticales non programmées sont visibles. La seconde se termine par la collision avec le sol.
2.1.3. Sièges éjectables
Des éléments des sièges éjectables du pilote et du navigateur ont été retrouvés et expertisés par DGA EV. Cette expertise indique qu’il y a eu tentative d’éjection par le pilote sans que les sièges avant et arrière n’aient eu le temps d’être éjectés. Il y a eu tentative d’éjection par le pilote mais la séquence d’éjection a été interrompue par la collision avec le sol.
2.1.4. Moteur et carburant
Le moteur a été expertisé par l’AIA de Bordeaux. Les différents débris ont été initialement triés par module puis analysés. Aucun élément ne permet de remettre en cause le bon fonctionnement du moteur. Aucune trace de feu ou de collision volatile n’a été identifiée. Le moteur délivrait une forte puissance, PGS ou proche, comme le suggèrent la position de la manette des gaz (repérée sur le régulateur principal) ainsi que la position fermée des volets de tuyères. Cette position des volets étant obtenue par la pression carburant, le système d’alimentation en carburant était donc en fonctionnement. Les éléments du palier 2 montrent qu’il n’y a pas eu de défaut de lubrification. De plus, il n’y a pas de trace de manque de lubrification sur les organes examinés. L’expertise montre que le moteur a heurté le sol sur son flanc droit (entre 4 et 6 heures vu de l’arrière), avec probablement un léger piquer. D’autre part, le carburant prélevé dans la citerne ayant servi à faire le plein de l’avion a été analysé par DGA EP. Il correspond à un carburéacteur de type F-34/F-35. Aucune pollution organique n’a été mise en évidence. De même, l’expertise des filtres à carburant de l’avion retrouvés sur le site de l’accident n’a révélé aucune trace de pollution solide du carburant.
L’hypothèse d’une panne du moteur n’est pas retenue. À l’impact, le moteur était en PGS. Le moteur a heurté le sol sur son flanc droit, en léger piquer.
2.1.5. Cellule
Certains débris de la cellule de l’avion ont été expertisés par DGA TA. Les résultats indiquent que :
les becs de bord d’attaque étaient rentrés ;
les trains d’atterrissage étaient rentrés ;
les aérofreins étaient rentrés ;
la gouverne de direction était légèrement orientée à droite ;
les quatre élevons étaient quasiment en butée à piquer.
Concernant les élevons, le constructeur indique que dans le domaine de vol considéré cette position ne peut pas être due à un mouvement du manche. En revanche, l’impact final de l’avion avec les arbres ou le sol a pu engendrer un comportement inhabituel de la boucle de pilotage du système des commandes de vol, pouvant conduire à une mise en butée des élevons dans un temps très bref. Les positions des différents éléments mobiles de l’avion (autres que les élevons) étaient dans une position conforme à l’attendu. Les élevons étaient en position quasiment à piquer, probablement à cause de l’impact.
2.1.6. Instruments de vol et voyants
Plusieurs instruments de vol et voyants ont été retrouvés sur le site et expertisés par DGA EP.
2.1.6.1. Instruments de vol
Seule l’expertise de l’horizon de secours a pu donner des informations. Ce dernier est figé dans une position indiquant une inclinaison vers la droite d’environ 30° et une assiette à piquer de près de 10°. Néanmoins, DGA EP n’a pas pu confirmer ces valeurs par d’autres éléments. La montre de bord de la place arrière a été retrouvée figée à 10h30.
2.1.6.2. Voyants
Les résultats de l’analyse des voyants sont incohérents avec leur logique d’allumage. Les conditions de l’accident ne permettent pas une analyse fiable de ceux-ci. Il est probable que l’avion ait heurté le sol avec une inclinaison vers la droite d’environ 30° et une assiette à piquer de près de 10°. L’expertise des voyants n’a pas été conclusive.
2.1.7. Étude du site de l’accident
Le Mirage 2000D a coupé net des arbres juste avant l’impact au sol. L’angle entre, d’une part, la trajectoire passant par l’arbre coupé le plus haut et le point d’impact et, d’autre part, l’horizontale est de l’ordre de 30°.
L’avion a heurté le sol avec une pente à piquer de l’ordre de 30°.
2.2. Analyse de la trajectoire
En l’absence de tout autre enregistrement, l’enquête s’est principalement appuyée sur l’analyse de la trajectoire radar déterminée par l’expertise. L’équipe d’enquête a cherché à établir les modes de SDT utilisés par Coca 27 ainsi que les causes des deux évolutions verticales non programmées. Par la suite, DGA EV a reconstitué le vol sur son simulateur Mirage 2000D après programmation de la trajectoire radar de Coca 27. Cette reconstitution a permis de confirmer les hypothèses établies.
Trajectoire du vol de Coca 27
2.2.1. Correction d’altitude
Les altitudes enregistrées par les radars au sol correspondent à celles envoyées par le transpondeur de l’avion. L’analyse au simulateur a permis de constater que ces altitudes étaient surestimées d’environ 30 mètres.
2.2.2. Transit jusqu’au RTBA
L’analyse de la trajectoire radar montre que le vol est conforme à la préparation de mission jusqu’à l’intégration dans le RTBA. Coca 27 décolle à 10h08 et transite en moyenne altitude au niveau de vol 60 jusqu’à Luxeuil. À l’issue du survol de la base aérienne 116 de Luxeuil, Coca 27 manœuvre pour rejoindre le point d’intégration du RTBA. Le vol est conforme à la préparation de mission pendant le transit jusqu’au RTBA.
2.2.3. Vol dans le premier tronçon rabaissé du RTBA
L’entrée dans le RTBA a lieu à 10h20 comme programmé. Une fois dans le RTBA, Coca 27 amorce sa descente en TBA. La trajectoire présente une pente à piquer correspondant à une prise de terrain standard. Dans cette phase de vol sans manœuvre particulière, les équipages évoluent préférentiellement en mode automatique, conformément au REAC qui précise que « le SDT auto radar est le mode préférentiel quand il est possible ». La trajectoire de Coca 26 est identique à celle de Coca 27. Ces deux appareils évoluent donc dans le même mode et à la même hauteur de consigne. Or, Coca 26 évolue en mode auto radar avec une hauteur de consigne de 300 pieds. Il en est donc de même pour Coca 27. La reconstitution au simulateur de DGA EV a permis de confirmer cette hypothèse. En fin de ce premier tronçon, vers 10h23mn30s, Coca 27 remonte à une hauteur de l’ordre de 1 500 pieds afin de rejoindre le tronçon rehaussé dont le plancher est fixé à 800 pieds. Dans le premier tronçon abaissé, Coca 27 évolue en mode radar avec une hauteur de consigne de 300 pieds.
2.2.4. Vol dans le tronçon rehaussé
Dans le tronçon rehaussé, la hauteur minimale de vol est de 800 pieds, la hauteur de consigne est de 1 000 pieds. À nouveau, les trajectoires de Coca 26 et 27 sont identiques. Ils sont donc dans le même mode. Or Coca 26 évolue dans le tronçon rehaussé en mode auto radar avec une hauteur de consigne de 1 000 pieds. Il en est donc de même pour Coca 27. La reconstitution au simulateur de DGA EV a permis de confirmer cette hypothèse. Coca 27 initie son virage vers un cap de 130° à 10h24mn39s. Son dernier message d’auto-information, effectué par le navigateur, est enregistré par la bande son de la VTH de Coca 26 aux alentours de 10h25.
2.2.5. Première évolution verticale
À la sortie du tronçon rehaussé et à l’entrée dans le deuxième tronçon abaissé du RTBA, Coca 27 doit redescendre en très basse altitude. Or, à ce moment, à 10h27mn01s, il effectue une forte prise de hauteur. Cette évolution ressemble à un dégagement. En effet, après un cabrer important, Coca 27 monte à une altitude de 6 600 pieds pour redescendre se stabiliser vers 5 800 pieds, ce qui correspond à l’altitude de sécurité dans ce secteur. Puis il reste approximativement à cette altitude pendant environ 30 secondes, probablement pour traiter ce dégagement. À 10h27mn54s, il redescend en très basse altitude, avec une pente descendante correspondant à une prise de terrain standard. La reconstitution au simulateur de DGA EV a permis de confirmer cette hypothèse. Un tel dégagement est courant et les équipages y sont préparés. Coca 27 reprend son vol en SDT comme prévu par la procédure.
2.2.6. Causes probables du 1er dégagement
Coca 27 évolue en mode auto radar dans le tronçon rehaussé. Il est donc encore probablement dans ce mode au moment du dégagement.
2.2.6.1. Test interne du radar
Le radar dispose de tests internes de sécurité susceptibles d’entraîner un dégagement automatique. En effet, en cas de doute sur le fonctionnement du radar, il est préférable de rejoindre l’altitude de sécurité. La survenue d’un tel dégagement est plus ou moins fréquente selon les avions. Les équipages n’ont pas systématiquement la connaissance exacte des causes des dégagements. De plus, il n’y a pas de suivi en retour de vol de ces dégagements.
L’hypothèse d’un dégagement automatique suite à un test interne du radar est possible.
2.2.6.2. Conditions météorologiques
Les conditions météorologiques peuvent perturber le système de SDT du Mirage 2000D et déclencher un dégagement automatique. Les images radar indiquent que Coca 27 venait de traverser une zone de précipitations mais qu’au moment du 1er dégagement, il n’y avait plus de précipitations. Néanmoins, les conditions météorologiques étaient dégradées et très humides pendant tout le vol dans le RTBA.
L’hypothèse d’un dégagement dû aux conditions météorologiques est donc possible.
2.2.6.3. Panne technique autre que le radar
Certaines pannes techniques peuvent entraîner un dégagement automatique.Si l’équipage avait été confronté à une panne, il aurait pris le temps de la traiter et aurait retardé sa reprise de terrain, voire aurait annulé son vol en cas de panne majeure. Or, la reconstitution au simulateur de DGA EV a permis de constater que l’équipage n’a eu que le temps de réaliser la procédure standard de dégagement et de reprise de terrain. Il n’a donc pas pu traiter une éventuelle panne. L’hypothèse d’une panne technique est rejetée.
2.2.6.4. Erreur de sélection de la hauteur de consigne du radioaltimètre
Le 1er dégagement se produit au moment où Coca 27 sort du tronçon rehaussé et doit redescendre en TBA. La procédure prévoit que l’équipage doit modifier la hauteur de consigne du radioaltimètre, appelée « SelH ». Cette hauteur est celle à laquelle, si l’avion passe en-dessous, une alarme symbolisée par une flèche dirigée vers le haut et visible sur la VTB et la VTH indique au pilote qu’il doit effectuer un dégagement manuel. Elle est réglée légèrement en-dessous de la hauteur de consigne. L’équipage a pu faire une erreur de saisie de la nouvelle hauteur de consigne du radioaltimètre lorsqu’il est rentré dans le tronçon abaissé. Il aurait alors réalisé un dégagement manuel à l’apparition de la flèche dans sa VTB.
2.2.6.5. Coupure volontaire du radar pour entraînement
Pour entraînement ou démonstration du dégagement automatique, le navigateur peut couper le radar. Le navigateur étant SCN, il avait des prérogatives d’instruction. Il aurait pu, pour entraîner son pilote, couper le radar. Néanmoins, cette hypothèse n’est pas retenue car ces pratiques sont plutôt réalisées durant des vols de qualification et après les exercices de passe de tir. De plus, pour l’équipage, il s’agissait d’un vol de reprise et les conditions météorologiques n’étaient pas propices.
L’hypothèse d’un dégagement automatique dû :
– à un test interne du radar ou aux conditions météorologiques est possible ;
– à une panne autre que le radar ou à une coupure volontaire du radar pour entraînement est rejetée.
L’hypothèse d’un dégagement manuel suite à une erreur de sélection de la hauteur consigne du radioaltimètre « SelH » demeure possible.
2.2.7. Vol dans le deuxième tronçon abaissé du RTBA
Dans ce tronçon, Coca 26 est détecté 500 pieds plus haut que Coca 27. Or il évolue à ce moment en mode auto fichier avec une hauteur de 800 pieds. Coca 27 évolue donc avec une hauteur de consigne de 300 pieds. Il est donc en mode auto radar ou TBA. La reconstitution au simulateur de DGA EV a permis de confirmer cette hypothèse. À la fin de ce tronçon, Coca 27 devait réaliser une simulation de passe de tir SCALP. Les équipages abordent cette phase en mode auto fichier ou TBA pour éviter un dégagement automatique intempestif pendant la procédure de tir. Puis ils maintiennent généralement le vol dans le mode choisi jusqu’au tir, afin d’éviter un changement de mode peu de temps avant. La préparation de mission mentionne d’ailleurs que la passe de tir doit se faire en mode auto fichier ou TBA. N’étant pas en mode auto fichier car 500 pieds en-dessous de Coca 26, Coca 27 évolue en mode TBA. Dans le deuxième tronçon rabaissé, Coca 27 évolue en mode TBA avec une hauteur de consigne de 300 pieds jusqu’à la simulation de passe de tir. Après la simulation de passe de tir, l’équipage doit virer à droite pour réaliser une évasive. D’ailleurs, entre le point de largage de l’armement (PLA) et la deuxième évolution verticale, la trajectoire de Coca 27 vire vers la droite. Lors des simulations de tir en mode TBA, l’usage veut que les équipages maintiennent ce mode le temps d’initier le virage puis qu’ils repassent en mode auto radar rapidement pour s’affranchir du pilotage qui, en mode TBA, demande beaucoup de ressources cognitives. À l’issue du tir, l’équipage initie un virage vers la droite pour simuler une évasive. Il est alors probablement repassé en mode auto radar.
2.2.8. Deuxième évolution verticale
Cette deuxième évolution verticale ressemble à un dégagement. Celui-ci est réalisé en automatique ou en manuel suivant le mode sélectionné après la passe de tir (auto radar ou TBA). Le sommet de cette évolution se situe à une altitude de 7 800 pieds. Ensuite, Coca 27 redescend jusqu’au sol sans s’arrêter à l’altitude de sécurité, avec une pente allant jusqu’à 50° de piquer. La trajectoire ne correspond donc pas à la procédure qui prévoit de redescendre avec un piquer de 10° vers l’altitude de sécurité et de s’y stabiliser. Pendant les premières secondes de ce dégagement, la trajectoire est rectiligne, ce qui correspond à la remise à plat pendant le cabrer initial. Puis Coca 27 vire à droite, probablement pour éviter de sortir du RTBA, voire de pénétrer dans l’espace aérien Suisse. La deuxième évolution verticale est un dégagement, réalisé en manuel ou en automatique. Après un cabrer initial rectiligne, Coca 27 vire à droite pour rester dans le RTBA.
Au cours de cette manœuvre, l’équipage n’a pas stabilisé à l’altitude de sécurité et a poursuivi le piquer jusqu’au sol.
2.2.9. Causes probables du deuxième dégagement
2.2.9.1. Test interne du radar
Comme pour le premier dégagement, un test interne du radar a pu provoquer un dégagement automatique ou déclencher l’alarme « montée à l’altitude sécurité », obligeant l’équipage à réaliser un dégagement manuel. Cette hypothèse est possible.
2.2.9.2. Conditions météorologiques
Les images radar des précipitations indiquent cette fois-ci que Coca 27 se dirigeait vers une zone de précipitations juste avant le deuxième dégagement.
L’hypothèse d’un dégagement automatique dû aux conditions météorologiques est probable.
2.2.9.3. Panne technique autre que le radar
Certaines pannes techniques peuvent engendrer un dégagement automatique ou provoquer l’apparition de l’alerte « montée à l’altitude de sécurité », obligeant l’équipage à réaliser un dégagement manuel. Suite aux expertises techniques, aucun élément ne permet d’étayer cette hypothèse. L’hypothèse d’un dégagement dû :
– aux conditions météorologiques est probable ;
– à un test interne du radar est possible ;
– à une panne technique est improbable.
2.2.10. Phase finale de la trajectoire
La reconstitution au simulateur de DGA EV montre que pour pouvoir suivre la trajectoire finale de Coca 27, il faut prendre un piquer allant jusqu’à 50°. Or, les constatations sur site semblent indiquer que l’avion est arrivé au sol avec une pente plus faible, ce qui suggère que le pilote ait tenté de réaliser une sortie de piquer avant la collision avec le sol. En effet, d’une part la découpe des arbres semble indiquer que l’avion est arrivé au sol avec une pente à piquer de l’ordre de 30°, d’autre part l’expertise de l’horizon de secours semble indiquer que l’avion avait une assiette à piquer de l’ordre de 10° au moment de l’impact. Cela est corroboré par l’expertise du moteur qui indique que celui-ci a heurté le sol avec un léger piquer, sur son flanc droit. Or en cas de ressource avec un cabrer maximal, l’incidence peut monter jusqu’à une quinzaine de degrés, compte tenu de la vitesse estimée. Ce qui correspond alors à une pente à piquer de l’ordre de 25°. Les expérimentations au simulateur de vol de l’ETD ont montré qu’au plus tard, la ressource doit avoir lieu à une hauteur de 1 500 pieds, soit environ 5 secondes avant la collision pour éviter le sol.
Une tentative de sortie de piquer a été initiée moins de 5 secondes avant la collision avec le sol.
Voyant que cette manœuvre de ressource ne lui permettait pas d’éviter le sol, le pilote a alors tenté d’éjecter l’équipage mais trop tardivement car les sièges n’ont pas eu le temps de partir. Entre le moment où la poignée d’éjection est tirée par le pilote et le moment où le premier siège (navigateur) quitte l’appareil, il s’écoule 170 millisecondes. La tentative d’éjection a donc eu lieu moins de 170 millisecondes avant la collision avec le sol.
Le pilote a tenté d’éjecter l’équipage moins de 170 millisecondes avant la collision avec le sol.
2.2.11. Séquence de l’évènement
Au vu des résultats obtenus (expertises techniques et essais en vol), la séquence de l’évènement est la suivante :
10h20mn01s : intégration dans le RTBA ; descente vers 300 pieds sol ;
10h24mn14s : passage dans le tronçon rehaussé ;
10h26mn57s : sortie du tronçon rehaussé ;
10h27mn01s : 1er dégagement ;
10h27mn14s : sommet du 1er dégagement ;
10h27mn54s : début de reprise de SDT ;
10h28mn09s : reprise du SDT ;
10h28mn09s à 10h29mn19s : vol en mode TBA à une hauteur de consigne de 300 pieds jusqu’à la simulation de passe de tir ;
10h29mn19s : passage du PLA et virage à droite pour l’évasive ; passage probable en mode auto radar ;
10h29mn32s : 2e dégagement ;
10h29mn44s : sommet du 2e dégagement et mise en virage à droite pour rester dans le RTBA ;
après le sommet du 2e dégagement lors de la reprise de terrain : non stabilisation à l’altitude de sécurité ;
moins de 5 secondes avant la collision : tentative de ressource ;
moins de 170 millisecondes avant la collision : tentative d’éjection ;
10h30mn : collision avec le sol.
2.3. Recherche des causes de l’évènement
2.3.1. Perception de l’équipage
L’évènement se produit au cours du second dégagement imprévu. Cette procédure est connue et les équipages s’y entraînent. Pourtant, lors du second dégagement, il n’y a pas eu de stabilisation à l’altitude de sécurité. L’avion a poursuivi sur une trajectoire avec un piquer très supérieur à 10°, valeur maximale imposée par la procédure, jusqu’à la collision avec le sol. La reconstitution au simulateur de DGA EV montre que le temps entre le passage au-delà de 10° de piquer et la collision avec le sol est de l’ordre de 10 secondes. Dans les 5 dernières secondes, le pilote a tenté une sortie de piquer et débuté une procédure d’éjection. L’intervalle de temps entre lequel la trajectoire ne correspond plus à celle attendue (piquer supérieur à 10°) et la tentative de récupération (sortie de piquer) est donc d’environ 5 secondes. Dans ces phases de dégagement, chaque membre d’équipage a une tâche précise à effectuer. Le pilote est en charge de la trajectoire et le navigateur en assure la surveillance. Pendant le court laps de temps de 5 secondes précédant la tentative de sortie de piquer, le pilote a une représentation incorrecte de l’attitude de l’avion et de sa trajectoire.
De son côté, le navigateur a, dans ce délai de 5 secondes :
soit une représentation correcte de l’attitude de l’avion et de sa trajectoire mais : n’a pas eu le temps d’alerter le pilote ou, a pu alerter le pilote mais celui-ci n’a pas entendu (surdité inattentionnelle23) ou,a pu alerter le pilote mais celui-ci n’a pas compris ;
soit également une représentation incorrecte de l’attitude de l’avion et de sa trajectoire.
Les raisons les plus probables envisagées de la représentation incorrecte de l’attitude de l’avion et de sa trajectoire seraient une incapacité subite du pilote ou une désorientation spatiale24 de l’équipage.
2.3.1.1. Incapacité subite du pilote
Le pilote aurait pu être confronté une incapacité subite en vol, notamment de type G-loc25. Toutefois, cette hypothèse est peu probable car :
la reconstitution au simulateur de DGA EV a montré que la trajectoire était pilotée jusqu’à l’impact ;
le profil d’accélérations Gz subies par l’équipage, estimé par les différentes expertises, est difficilement compatible avec la survenue d’une perte de conscience sous facteur de charge ;
l’équipage a été confronté à un premier dégagement quelques minutes avant ; il a donc déjà subi un niveau de facteur de charge similaire.
L’hypothèse que le pilote ait subi une incapacité subite en vol est rejetée.
2.3.1.2. Désorientation spatiale de l’équipage
Après le passage trois quart dos, l’équipage ne stabilise pas à l’altitude de sécurité et poursuit sur une trajectoire avec un fort piquer pendant plusieurs secondes avant d’effectuer une ressource tardive. Cette absence de stabilisation à l’altitude de sécurité qui a conduit l’aéronef à adopter une attitude dangereuse (position inusuelle à piquer, proche du sol et à vitesse élevée) indique que l’équipage a pu subir une désorientation spatiale non reconnue comme telle. La tentative de ressource ainsi que le commencement d’une procédure d’éjection indiquent que cette désorientation spatiale a pu être reconnue dans les dernières secondes.
* En aéronautique, la désorientation spatiale correspond à une situation au cours de laquelle un membre d’équipage a une perception erronée de la position, du mouvement ou de l’attitude de son aéronef ou de lui-même par rapport au système fixe de coordonnées fourni par la surface de la terre et la verticale gravitaire. Cette désorientation spatiale peut être reconnue ou non par l’individu. Il survient lors de la prise de facteurs de charge et entraîne la perte de connaissance.
Classiquement, la désorientation spatiale en vol peut être expliquée par trois phénomènes : la survenue d’une illusion perceptive, une conscience erronée de la situation liée à une focalisation attentionnelle, ou encore un affichage erroné des informations fournies par les instruments.
Illusion perceptive
La perception de l’espace résulte de l’intégration d’informations issues de divers capteurs dont les capteurs biologiques sensoriels et plus spécifiquement les systèmes visuel, vestibulaire et proprioceptif. Une illusion perceptive (voir annexe) correspond à une situation au cours de laquelle l’individu a une perception erronée de la position et du mouvement de son corps dans l’espace. Les illusions perceptives peuvent aboutir à une désorientation spatiale.
Absence de références visuelles
En l’absence d’informations visuelles, la perception de l’espace peut être soumise à de nombreuses illusions perceptives. Les différentes informations météorologiques disponibles indiquent la présence d’une couche nuageuse épaisse sur l’ensemble du vol dans le RTBA. Toutefois, juste avant le deuxième dégagement, deux témoins ont vu l’avion quelques secondes. Celui-ci était donc sous la couche à ce moment-là. Il est très probable qu’il évoluait en limite de couche, alternativement dans et hors des nuages. Ce phénomène peut être perturbant pour les pilotes, même s’ils sont censés ne piloter qu’aux instruments. Il est donc très probable que Coca 27 ait réalisé le deuxième dégagement majoritairement en conditions de vol aux instruments (IMC), avec des passages ponctuels en VMC.
Forte sollicitation de l’appareil vestibulaire
Après la passe de tir, l’avion a viré franchement vers la droite puis, à cause du dégagement, a remis les ailes à plat avec le taux de roulis maximal avant de cabrer fortement pendant plusieurs secondes. Par la suite, l’avion a viré franchement à droite tout en passant trois quart dos. Ces fortes sollicitations sont susceptibles de favoriser les illusions perceptives de chacun des membres de l’équipage.
Informations présentées par l’indicateur sphérique gyroscopique (ISG)
En l’absence de références visuelles, le risque d’illusions perceptives étant important, il est recommandé aux pilotes de se référer aux informations fournies par les instruments de vol. La reconstitution au simulateur de DGA EV a montré que dans la phase de piquer, la ligne d’horizon de l’ISG disparaît pratiquement du fait de la forte pente et du fort virage. L’instrument ne présentait alors pratiquement plus que sa face de couleur marron. Cet instrument indiquait bien au pilote que son aéronef se dirigeait vers le sol. Toutefois, un temps d’analyse de celui-ci est également nécessaire pour déterminer les actions de pilotage à réaliser pour la manœuvre de sortie de piquer. Ce temps d’analyse est d’autant plus important que l’ISG ne présente que peu d’informations permettant d’interpréter l’attitude de l’avion.
Autres facteurs
Par ailleurs, il existe d’autres facteurs susceptibles de favoriser les illusions perceptives au sein de l’équipage. Dans le cas présent, ces facteurs sont une forte charge cognitive subie par l’équipage à cet instant du vol, une expérience limitée et un manque d’entraînement. Les conditions météorologiques et les stimulations vestibulaires dues à la trajectoire de l’avion sont propices à l’apparition d’illusions perceptives d’origine vestibulaire. Une illusion perceptive est à l’origine d’une désorientation spatiale de l’équipage.
Conscience erronée de la situation
L’évènement survient au moment où devait être réalisée la simulation de passe de tir SCALP. Cette phase est particulièrement complexe et exige de nombreuses ressources cognitives pour traiter l’information perçue sur la VTB, agir aux commandes et réaliser les procédures de tir. Cette exigence attentionnelle l’est encore davantage pour le pilote tout juste PCO et dont les compétences, notamment relatives au SDT, sont encore en cours de mûrissement. De plus, deux minutes avant la simulation de passe de tir, l’équipage est confronté à un premier dégagement imprévu qui a retardé son plan d’action et réduit tous les délais pour la préparation de cette simulation. En effet, la reprise de SDT suite à ce dégagement a lieu une minute et 20 secondes avant la passe de tir. L’équipage aborde donc la simulation de passe de tir avec une forte charge cognitive et une forte pression temporelle. Et c’est justement après la passe de tir, et alors que le pilote initie son virage à droite, qu’a lieu le deuxième dégagement imprévu. Ce dernier entraîne un changement de plan d’action de l’équipage, intensifiant encore plus sa charge de travail. En effet, l’équipage doit alors en très peu de temps gérer son second dégagement tout en assurant simultanément son cap afin de ne pas sortir du réseau RTBA. La surveillance de l’attitude de l’aéronef, de l’altitude et du cap à suivre constituent des tâches simultanées. Or, les ressources attentionnelles étant limitées, l’attention ne peut être portée sur ces différents paramètres à la fois, sauf en réalisant un balayage visuel. Si l’une de ces tâches devient plus exigeante en termes de ressources attentionnelles, il est possible alors de ne pas détecter les évolutions des autres paramètres. Lors du vol, il est possible que le pilote ait porté son attention sur :
le cap à rejoindre afin d’éviter de sortir du RTBA ;
une éventuelle panne technique qui aurait été la cause du dégagement ou qui serait survenue à ce moment ;
une autre action.
Ces conditions sont alors toutes susceptibles de générer une conscience erronée de la situation, l’attention n’étant alors plus portée sur les paramètres indiquant l’attitude et l’altitude de l’aéronef, pendant les 5 secondes où la trajectoire n’a pas été contrôlée. Une conscience erronée de la situation, due à une charge cognitive élevée et une forte pression temporelle, est à l’origine d’une désorientation spatiale de l’équipage.
Affichage des informations fournies par les instruments de vol
Les pilotes réalisent les dégagements en utilisant comme seuls instruments l’ISG et l’altimètre. L’enquête n’a pas permis de déceler un dysfonctionnement d’un de ces deux systèmes. Pourtant, sans être fréquents, les dysfonctionnements de ces instruments ne sont pas complètement exceptionnels. Ainsi, en 2018, l’ESTA a relevé 21 dysfonctionnements de l’altimètre et 52 de l’ISG. Une panne de l’ISG est susceptible de supprimer l’information principale d’attitude utilisée par les pilotes pendant les dégagements. Dans ce cas, le risque d’une désorientation spatiale serait très important. Toutefois, même en cas de panne, notamment d’alimentation électrique, l’ISG reste valide pendant quelques minutes. Et le pilote dispose toujours des informations de la VTH, même si celles-ci peuvent conduire à des erreurs d’interprétation. L’hypothèse que la panne de l’altimètre soit à l’origine de l’évènement est peu probable. En effet, l’équipage dispose alors toujours d’une indication de hauteur avec la radiosonde.
L’hypothèse que la désorientation spatiale de l’équipage soit liée à un panne de l’ISG ou de l’altimètre est improbable.
2.3.1.3. Synthèse
Lors du deuxième dégagement, l’équipage n’a pas stabilisé à l’altitude de sécurité et a poursuivi le vol en piquer vers le sol. Il a subi une désorientation spatiale due à une illusion sensorielle et une conscience erronée de la situation.
2.3.2. Contexte de l’évènement
2.3.2.1. Niveau de risque de la mission
La mission d’AST est une mission à risque élevé car les marges d’erreur sont très faibles. En effet, les aéronefs évoluent en TBA et à très grande vitesse, parfois en IMC lors des vols dans le RTBA. En outre, plus la hauteur de consigne est faible, plus les marges de manœuvre pour répondre aux instructions du système sont réduites. Toute erreur de pilotage est susceptible de conduire l’avion à heurter le sol. On parle alors de situation non tolérante à l’erreur. Pour minimiser la prise de risque, les équipages ont pour consigne de voler en mode automatique (radar ou fichier) car le système est fiable et a fait ses preuves. Néanmoins, la passe de tir SCALP est réalisée de préférence en mode TBA. Le pilotage manuel en mode TBA est techniquement complexe. Le pilote doit suivre sur la VTB les indications de direction et de hauteur à adopter. Or, la symbologie de l’affichage tête basse n’est pas intuitive, ce qui rend le mode TBA particulièrement difficile à réaliser. La direction à suivre (droite-gauche) s’interprète en fonction de la position de deux tirets qui évoluent de part et d’autre du vecteur vitesse (cercle au milieu de la VTB). La hauteur, quant à elle, s’interprète en fonction de symboles horizontaux défilant progressivement de droite à gauche dans la partie basse de la VTB.
Si la procédure de SDT exige du pilote une attention tournée exclusivement sur la VTB, l’absence de visibilité extérieure augmente la difficulté du pilotage, l’équipage n’ayant aucune référence visuelle pour s’aider en vision périphérique. Enfin, le vol en SDT nécessite de respecter plusieurs procédures et d’être bien mécanisé. Ce type de vol demande donc un entraînement régulier. Le SDT en mode TBA est techniquement difficile, et ce encore davantage lorsque les conditions météorologiques sont mauvaises. Les marges d’erreur sont quasi nulles. Ces missions appellent un entraînement conséquent.
2.3.2.2. Baisse du niveau d’entraînement Déficit en entraînement organique
La 3e escadre de chasse connait depuis plusieurs années un déficit en entraînement organique. Celui-ci est dû à un engagement important en opérations extérieures et à une faible disponibilité des Mirage 2000D. De plus, le spectre des missions attribuées à l’escadre s’élargit. Mécaniquement, pour une mission donnée, le niveau d’entraînement des équipages diminue. Ce phénomène touche particulièrement les pilotes dans la mesure où les NOSA, moins nombreux en escadron, volent davantage. Les priorités sont données aux vols de qualification au détriment des vols de mûrissement. Ainsi, les équipages réalisent peu de vols pour maintenir ou approfondir leurs compétences, ce qu’ils appellent « voler dans leur qualification ». Généralement, ils volent pour s’entraîner au passage d’une qualification supérieure ou pour l’entraînement d’autres pilotes. Ils volent également beaucoup durant les OPEX. Mais les vols réalisés durant ces séjours, qui augmentent les heures de vol, ne sont pas représentatifs de l’ensemble du spectre des missions de l’escadre. Cette baisse d’expérience est pleinement ressentie par les jeunes pilotes qui ont l’impression que chaque vol est un vol de reprise.
La 3 EC connait un déficit en entraînement organique depuis plusieurs années.
Manque d’entraînement organique de l’équipage de Coca 27
En juillet 2018, face à la dégradation de l’entraînement organique des équipages de la 3e EC, et pour limiter les risques, l’armée de l’air a fixé des minimas d’heures de vol à réaliser annuellement pour les pilotes en fonction de leur qualification. Ces heures de vol sont complétées par celles réalisées en OPEX pour atteindre une activité annuelle acceptable. Pourtant, ces vols en OPEX, donc ceux réalisés par Coca 27, ne permettent pas le perfectionnement dans tout le spectre de mission de la 3e EC.
En 2017, le pilote de Coca 27 réalise 122 heures de vol. En 2018, il réalise 148 heures d’entraînement organique dont 10 heures de convoyage vers l’Afrique et 66 heures de vol en OPEX. Si en 2018, il atteint le seuil fixé, ce n’est pas le cas en 2017. En définitive, le pilote est peu expérimenté. Il est encore en cours d’acquisition de nouvelles compétences, qui doivent s’appuyer sur des compétences déjà acquises et consolidées. Le déficit de vols dit « de mûrissement » et l’irrégularité de ces vols ne le permettent pas.
Pour sa part, le NOSA a effectué un nombre d’heures de vol constant aux alentours de 225 par an, mais il a réalisé au moins une OPEX chaque année. Ainsi en 2018, il n’a volé que 93 heures en missions d’entraînement organique. Pour les NOSA, il n’y a pas de seuil fixé, mais le volume d’heures réalisées en 2018 en entraînement organique par celui de Coca 27 est faible. Le nombre d’heures de vol réalisé en missions d’entraînement organique par l’équipage est insuffisant et irrégulier pour permettre le maintien des compétences acquises et l’acquisition de nouvelles compétences sur des bases solides.
Manque d’entraînement de l’équipage aux missions de SDT
Il est demandé dans les consignes permanentes d’instruction du personnel navigant (CPIPN) que des missions de SDT soient réalisées au moins une fois par mois pour les PCO afin de maintenir les compétences. Cela n’a pas été le cas pour le pilote. En effet, depuis sa qualification aux missions de SDT, obtenue en juillet 2017, le pilote n’a réalisé que 7 vols consacrés au SDT (AST 3 ou 4), dont deux en OPEX en Afrique. Sur ces 7 vols, un seul a été réalisé en hiver, en janvier 2018. Et il n’était pas exclusivement consacré au SDT. De plus, il a passé sa qualification aux missions de SDT en été, « dans des conditions climatiques clémentes (VMC) », comme indiqué dans son mémoire de fin de qualification. L’irrégularité et le manque d’entraînement à cet exercice ne permettent pas d’assurer une consolidation des savoir-faire acquis lors de la qualification.
Le manque de pratique du SDT par ce pilote avec des conditions météorologiques défavorables est certain.
En 2018, le NOSA a réalisé sept missions de SDT, dont 3 en métropole entre avril et juillet et quatre en opération extérieure en Afrique entre septembre et novembre. Le NOSA n’a donc pas fait de mission de SDT en hiver en 2018. Par ailleurs, il est demandé dans les CPIPN, dans le cadre du maintien des compétences, que des missions de SDT soient réalisées une fois tous les deux mois pour les SCN. Si la quantité est bien respectée (7 missions en 12 mois), la régularité ne l’est pas. Le manque de régularité dans l’entraînement ne favorise pas la consolidation des savoir-faire acquis lors de la qualification. Ce faible entraînement aux missions de SDT peut s’expliquer par le fait que ce type de mission ne fait plus partie du cœur de domaine d’emploi des Mirage 2000D. Il ne fait d’ailleurs l’objet d’aucun suivi spécifique au sein de la 3e EC. Or, la qualité et la quantité d’entraînement sont des déterminants majeurs de l’élaboration d’une conscience de la situation en vol pour le personnel navigant. Le rythme et les conditions d’entraînement de l’équipage ne permettent pas d’assurer un maintien optimal des compétences pour les missions de SDT. Pour le personnel navigant peu expérimenté, le risque d’acquérir une conscience de la situation erronée lors de ce type de mission est alors élevé.
Entraînement au tir SCALP
Le simulateur de vol utilisé par la 3 EC ne permet pas de simuler la passe de tir SCALP. Celle-ci doit se faire à l’entraîneur de vol, moins réaliste. L’absence de capacité de simulation réduit fortement les possibilités de mécanisation à ce type de mission. Cette limitation technique du simulateur, associée au manque d’entraînement en vol, est préjudiciable à l’acquisition et à l’entretien de compétences et à leur parfaite mécanisation. C’est seulement lorsque la compétence devient pleinement automatisée par l’équipage qu’elle exige moins de ressources cognitives. L’absence de possibilité d’entraînement au simulateur à ce type de passe de tir diminue les possibilités de mécanisation des équipages.
Réponse organisationnelle
Conscient de cette situation, le commandement local a régulièrement rendu compte et formulé des propositions notamment pour faire des choix dans le large spectre des missions de la 3 EC. L’armée de l’air n’a pas pu valider ces propositions qui engageaient profondément l’orientation de la formation des équipages. En effet, les solutions proposées ont été jugées prématurées car elles auraient entraîné une perte irréversible de compétences dans certains domaines. Dans un contexte d’heures de vol contingentées, le déficit de missions d’entraînement organique des équipages de la 3 EC n’a pas entraîné de réorganisation du spectre des missions.
Synthèse
La mission de SDT est une mission techniquement complexe qui demande une pratique régulière. Or, la 3 EC connait un déficit d’entraînement organique alors que le spectre de ses missions et de ses engagements s’élargit. Ainsi l’équipage de Coca 27, tout particulièrement le pilote, n’a pas pu consolider ses compétences en SDT, notamment par conditions météorologiques défavorables.
Ce manque d’entraînement a contribué à l’évènement.
2.3.2.3. Migration des pratiques
La diminution progressive des heures de vol consacrées à l’entraînement organique, aggravée par une indisponibilité technique chronique et associée à un élargissement du spectre des missions, a conduit la 3 EC à rentabiliser au maximum les missions d’entraînement. Au début des années 2000, les équipages réalisaient une cinquantaine d’heures de vol de SDT par an dont certaines sans autre objectif que la pratique du SDT. Désormais, les équipages ne réalisent théoriquement qu’environ une dizaine de missions par an avec une densité supérieure : ajout d’un thème tactique, d’une ou plusieurs passes de tir, d’une ambiance de guerre électronique, etc.. Le SDT n’est plus perçu comme le but de l’entraînement mais comme le simple prélude à un mode d’action opérationnel, qui requiert donc moins l’attention. Cette situation est admise par les équipages et les différents échelons du commandement. Elle résulte d’une adaptation des unités navigantes face aux contraintes systémiques que sont le manque de disponibilité des aéronefs, le manque d’heures de vol des équipages et les ambitions opérationnelles. Cette situation a pour conséquence d’entraîner une migration des pratiques (au-delà des limites considérées comme sûres). Cette migration n’a pas été perçue comme une prise de risque car elle a été progressive et était sans incident majeur. Elle s’est normalisée au fil du temps. Des faits qui constituaient initialement des signaux d’alerte n’ont plus été considérés comme tels.
– Migration des pratiques : modèle (Amalberti et al., 2006) qui décrit comment dans un environnement dynamique et à risque l’évolution progressive des pratiques génère des comportements d’écarts aux règles de sécurité. Le modèle décrit les trois phases successives du processus dynamique de migration jusqu’à un accident. Pour l’auteur, cette migration des pratiques est ordinaire dans tous les systèmes dynamiques qui évoluent continuellement. Les risques associés à un type de pratique ont été progressivement perdus de vue. Pour les jeunes équipages qui n’ont connu que cette situation, ces pratiques constituent la normalité de leur travail au quotidien. Elles ne sont pas perçues comme exceptionnelles mais comme routinières. Ils n’ont alors pas conscience des prises de risque associées. Ce phénomène est renforcé par un manque d’officiers sous contrat (OSC) expérimentés et garantissant la mémoire de l’évolution des pratiques au sein de la 3 EC. Dans ce contexte, la mission attribuée à l’équipage de Coca 27 le 9 janvier 2019 était considérée comme simple car sans thème tactique. Pourtant, la mission était techniquement complexe et l’entraînement de l’équipage pour la réaliser insuffisant. Le besoin de rentabiliser les missions d’entraînement a conduit à une migration des pratiques. Ce phénomène est à l’origine d’une sous-évaluation du risque des missions d’entraînement au SDT et a contribué à l’évènement.
2.3.2.4. Conséquence de la sous-évaluation du risque
Supervision
Limitation de la procédure SDT. Lors de la mise en service du Mirage 2000D, la hauteur de consigne limite d’utilisation du SDT était fixée par l’armée de l’air à une hauteur minimale de 500 pieds. Cette limitation était cohérente avec une mission considérée comme complexe, non tolérante à l’erreur et nécessitant un entraînement régulier. Cette limitation a été par la suite abaissée à une hauteur de 300 pieds. Or, en même temps, le niveau d’entraînement a diminué et les missions se sont densifiées. La baisse de technicité des pilotes de la 3 EC, liée au manque d’entraînement, ne permet plus d’assurer le même niveau de sécurité en SDT que par le passé, notamment aux hauteurs les plus basses du SDT et par les conditions météorologiques les plus défavorables.
Encadrement de la mission
La mission étant considérée comme simple, tous les modes de SDT et une hauteur de vol de 300 pieds ont été autorisés. L’objectif était de laisser le choix à l’équipage. Cependant, les jeunes équipages ont tendance à vouloir s’entraîner aux limites, notamment pour acquérir le plus rapidement possible les compétences. Pour cela, leur plan d’action lors des missions d’entraînement correspond généralement au pilotage le plus difficile. Or, dans les conditions actuelles (entraînement limité et irrégulier, absence de vol de murissement), les équipages ne peuvent pas acquérir le recul nécessaire pour évaluer leur niveau de maîtrise. L’absence de limitation des modes SDT a indirectement incité l’équipage à réaliser sa mission d’entraînement dans les conditions techniques les plus difficiles.
Choix de la mission de reprise
Il s’agit d’un vol de reprise pour un équipage encore peu expérimenté sur cette mission, et tout particulièrement pour le pilote qui est qualifié depuis un an et demi et qui ne l’a réalisée que 7 fois depuis et probablement jamais dans de telles conditions météorologiques. De plus, les deux membres d’équipage n’ont pas volé en métropole – si ce n’est le pilote le 8 janvier 2019 – depuis leur départ en OPEX (août 2018 pour le navigateur et octobre 2018 pour le pilote). Ainsi, si l’équipage est qualifié pour cette mission, son expérience récente en SDT, en zone vallonnée et avec des conditions météorologiques défavorables est faible. Même si la mission est jugée simple compte tenu de l’absence de thème tactique, elle reste techniquement difficile car elle demande des ressources cognitives importantes. Dans sa forme, sans limitation de mode ou de hauteur de vol, elle présentait pour une mission de reprise une véritable difficulté. Les caractéristiques de cette mission, exigeante pour un vol de reprise, représentent une véritable difficulté pour cet équipage spécifiquement.
Choix du plan d’action par l’équipage
Les paramètres de vol recueillis grâce aux radars semblent bien indiquer que l’équipage avait la volonté de réaliser la mission dans les conditions les plus difficiles (mode auto radar et TBA avec une hauteur de consigne de 300 pieds). Les conditions météorologiques défavorables n’ont pas été perçues comme un facteur de risque pour l’équipage. Il est probable que celui-ci ait considéré que le risque lié à la perte de références visuelles extérieures était maitrisé par le système. En outre, leur présence dans le réseau RTBA a pu renforcer ce sentiment de protection car, à l’intérieur de ce réseau, le risque de conflit avec un autre aéronef est théoriquement nul. De plus, tous deux ont été très bien évalués durant leur OPEX, ce qui renforce leur confiance. Enfin, avant ce vol de reprise, le pilote et le NOSA ont profité d’un créneau au simulateur qu’ils avaient en commun le lundi pour retravailler le SDT, et ainsi être prêts pour la mission du mercredi. Cette séance de simulation s’est bien passée. Ainsi, le choix d’exécuter le plan d’action comportant les risques les plus élevés découle d’une sous-évaluation du niveau de risque liée à :
un excès de confiance envers les automatismes du système ;
l’environnement protecteur du RTBA ;
la croyance de l’équipage vis-à-vis de ses compétences.
Pensant maîtriser les différents aspects de sa mission, l’équipage n’a pas eu le sentiment de prendre un risque. La sous-évaluation du risque par l’équipage l’a conduit à choisir le plan d’action le plus risqué pour réaliser cette mission.
Synthèse
La complexité de la mission de reprise a été jugée par rapport à son niveau tactique et non par rapport à son niveau de technicité du pilotage qui requiert de nombreuses ressources cognitives.
La sous-évaluation du risque à l’origine du défaut de supervision et de l’excès de confiance de l’équipage a contribué à l’évènement.
2.3.2.5. Absence de renoncement de l’équipage
Malgré le manque d’entraînement de l’équipage aux missions de SDT en IMC et malgré la survenue d’un premier dégagement peu de temps avant la passe de tir, l’équipage n’a pas remis en question son plan d’action initial. À l’inverse, l’équipage expérimenté de Coca 26 a renoncé à son plan d’action initial et est passé en mode fichier après avoir effectué un mauvais réglage de la « SelH ».L’équipage de Coca 27 a été confronté à deux enjeux simultanés :
la réussite de la passe de tir SCALP en SDT à une hauteur de consigne de 300 pieds qui constituait l’objectif opérationnel de la mission ;
le maintien d’un niveau de sécurité qu’il estimait adapté à sa compétence.
Face à ces deux enjeux, l’équipage a tâché d’adopter un compromis, lequel a pu être influencé par trois facteurs :
Pression liée au manque d’entraînement
Afin de rentabiliser les missions dans le contexte d’un nombre d’heures de vol contraint, les équipages s’entraînent généralement au maximum de leur savoir et de ce qui est autorisé, dans le but d’acquérir et de maîtriser au plus tôt tout le domaine de vol. Cette culture est partagée par tous au sein de l’escadre. Le risque est que les équipages encore peu expérimentés ne soient pas en mesure d’évaluer les limites de leur propre compétence.
Pression liée au jugement d’autrui
Le pilote de Coca 26 est un instructeur qui a participé aux qualifications des deux membres d’équipage de Coca 27 et qui doit continuer à y participer dans le futur. La perspective peu acceptable d’un renoncement devant le pilote de Coca 26 qui a effectué la même mission cinq minutes devant Coca 27, et a ainsi démontré la faisabilité de cette mission, a pu conduire l’équipage de Coca 27 à poursuivre la mission.
Pression liée à la motivation personnelle
L’équipage est particulièrement motivé pour réussir cette mission. Le lundi, lors d’une séance de simulation prévue initialement pour le travail sur les procédures de pannes, il a demandé à réaliser du SDT afin de se préparer à la réussite de cette mission. Par ailleurs, les deux membres de l’équipage reviennent tous deux d’une opération extérieure pendant laquelle ils ont été très bien notés. C’est leur premier vol d’entraînement depuis leur retour, ce qui peut conduire à un excès de motivation pour réussir cette mission comme ils ont réussi leur OPEX. Or, plus le niveau d’engagement des individus dans la poursuite d’un objectif est élevé, plus il leur est difficile de renoncer à cet objectif. La volonté de s’entraîner aux situations les plus difficiles, la perspective du jugement d’un instructeur expérimenté et sa motivation personnelle à réussir ont conduit l’équipage à ne pas remettre en question son plan d’action initial malgré l’augmentation de la difficulté.
3. CONCLUSION
L’évènement est un controlled flight into terrain (CFIT) ou collision avec le sol en vol contrôlé. Ce type d’accident caractérise les événements pour lesquels l’équipage contrôle l’aéronef (qui ne sort pas de son domaine de vol) mais possède une représentation erronée de sa trajectoire dans le plan vertical et/ou horizontal, entraînant la collision avec le sol.
Cet évènement ne remet pas en cause la fiabilité de l’appareil ni de son système de SDT.
3.1. Éléments établis utiles à la compréhension de l’évènement
Un équipage composé d’un PCO et d’un SCN réalise un vol d’AST 4 dans le RTBA. Au cours de ce vol, une simulation de passe de tir SCALP est programmée. Un autre aéronef réalise la même mission cinq minutes avant eux mais de façon indépendante. Le plafond et la visibilité sont réduits, le vol en TBA est réalisé en limite de couche nuageuse, majoritairement en IMC.
Après 10 minutes de vol dans le RTBA, l’aéronef percute le sol à grande vitesse. L’enregistreur de vol est retrouvé détruit tandis que la cassette Hi8 enregistrant la VTH n’a pas été retrouvée. L’expertise radar, confirmée par une reconstitution au simulateur de DGA EV, a permis de retracer l’intégralité du vol. L’analyse montre que 3 minutes avant l’évènement, Coca 27 subit un dégagement en automatique. Il reprend le vol en TBA rapidement afin d’être en mesure de réaliser la passe de tir SCALP et ainsi rentabiliser la mission d’entraînement. Cette reprise de SDT intervient 1 minute et 20 secondes avant le lieu prévu pour la passe de tir. L’équipage aborde ainsi cette manœuvre avec une pression temporelle importante et une forte charge cognitive. Au PLA, il vire à droite pour effectuer l’évasive et repasse en mode auto radar. C’est à ce moment que l’équipage subit un second dégagement. Durant cette manœuvre, il vire à droite pour rester dans le RTBA mais il ne stabilise pas à l’altitude de sécurité et poursuit son vol, avec un fort piquer, jusqu’au sol. La prise de conscience trop tardive de cette position inusuelle ne lui a permis ni d’effectuer une sortie de piquer ni de s’éjecter.
3.2. Causes de l’évènement
La cause la plus probable de l’absence de stabilisation à l’altitude de sécurité est une désorientation spatiale non reconnue de l’équipage. Elle peut être expliquée par :
une illusion perceptive ;
une conscience erronée de la situation ;
une éventuelle absence ponctuelle de surveillance du navigateur ou une inefficacité à avertir le pilote (temps trop court, surdité inattentionnelle ou incompréhension du pilote). Néanmoins, compte tenu de la destruction des enregistreurs de vol et de l’absence d’éléments probants issus des expertises, d’autres scénarios ne peuvent être exclus. D’autres causes ont également été identifiées et ont contribuées à l’évènement :
un manque d’entraînement organique au sein de la 3 EC ;
un manque d’entraînement de l’équipage à la mission de SDT ;
une impossibilité de simuler la passe de tir SCALP au simulateur de vol ;
une difficulté pour l’armée de l’air à apporter des solutions immédiates aux problématiques complexes de capacités d’entraînement remontées par le commandement local.
Ce manque d’entraînement a conduit à une recherche d’optimisation à chaque vol. Les entraînements sont devenus, au fil des années, de plus en plus denses. Cette densité est devenue la norme pour les équipages qui n’ont connu que cette situation. Le SDT n’est de facto aujourd’hui plus perçu comme le but de l’entraînement mais comme le simple prélude à un mode d’action opérationnel, qui requiert donc moins l’attention.
Cette migration des pratiques a conduit à une sous-estimation des risques liés à ce type de mission et à un défaut de supervision. Cette mission a alors été proposée en vol de reprise, malgré sa complexité et la faible expérience de l’équipage.
Enfin, l’équipage n’a probablement pas été en mesure de renoncer à son projet d’action initial pendant le vol malgré un premier dégagement peu de temps avant la passe de tir, sous l’effet d’une triple pression liée :
à la nécessité d’optimiser l’entraînement ;
à la crainte du jugement d’un autre pilote expérimenté ;
à une forte motivation personnelle.
4. RECOMMANDATIONS DE SECURITE
4.1. Mesures de prévention ayant trait directement à l’évènement
4.1.1. Déficit d’entraînement organique
La 3 EC connait un déficit d’entraînement organique depuis plusieurs années alors que s’est élargi le spectre de ses missions et de ses engagements. Ce déficit est préjudiciable à l’acquisition et à la consolidation des compétences.
En conséquence, le BEA-É recommande à l’armée de l’air de renforcer l’entraînement organique de la 3 EC.
4.1.2. Entraînement aux missions de SDT
La mission de SDT est une mission à risque élevé et techniquement complexe. La diminution et l’optimisation de l’entraînement au SDT est à l’origine d’une migration des pratiques ayant conduit à une sous-évaluation du risque. Celui-ci est évalué par rapport à la densité tactique et non plus par rapport à la complexité technique. Les missions d’entraînement sans thème tactique sont alors jugées simples et compatibles avec une mission de reprise.
En conséquence, le BEA-É recommande à l’armée de l’air de réévaluer le niveau de risque que représentent les missions de SDT afin de revoir la progressivité et la régularité de cet entraînement.
4.1.3. Suivi personnalisé de l’entraînement au SDT
L’entraînement au SDT ne fait pas l’objet d’un suivi personnalisé. Les commandements des escadrons ne peuvent donc pas connaitre précisément le niveau d’entraînement de chacun de leurs pilotes et de leurs NOSA, ne permettant pas d’adapter les missions.
En conséquence, le BEA-É recommande à l’armée de l’air d’assurer un suivi personnalisé de l’entraînement au SDT, ainsi qu’à d’éventuelles autres compétences qu’elle jugera fondamentales, afin de permettre au commandement d’adapter la complexité des missions aux progressions individuelles.
4.1.4. Entraînement au simulateur ou à l’entraîneur de vol
Les deux membres d’équipage n’avaient que peu ou pas volé depuis leur retour d’opération extérieure. À leur demande, ils ont effectué une révision des procédures de SDT à l’occasion d’une séance d’entraînement aux procédures d’urgence au simulateur. Cet entraînement n’est plus obligatoire mais sa réalisation est significative du besoin ressenti par l’équipage de bénéficier d’une telle séquence.
En conséquence, le BEA-É recommande à l’armée de l’air d’étudier la pertinence d’imposer à nouveau la réalisation d’une mission de SDT au simulateur ou à l’entraîneur de vol préalablement à sa réalisation en vol pour les membres d’équipage n’ayant pas effectué ce type de mission depuis une durée à définir.
4.1.5. Rénovation du simulateur
Le simulateur de vol actuellement utilisé par la 3 EC ne permet pas de simuler l’intégralité des missions. Ceci est préjudiciable à l’acquisition et au renforcement des compétences des équipages. Ce simulateur est en cours de rénovation.
En conséquence, le BEA-É recommande à l’armée de l’air de poursuivre la rénovation du simulateur et de s’assurer de la possibilité d’y simuler toutes les missions.
4.2. Mesures n’ayant pas trait directement à l’évènement
4.2.1. Renforcement de l’enregistreur de vol
L’enregistreur des paramètres de vol du Mirage 2000D est régulièrement mis en défaut lors de collision avec le sol à forte énergie. Or, la récupération des informations est essentielle à la compréhension de l’évènement et la raison d’être d’un enregistreur de vol est de les conserver en dépit d’un éventuel accident.
En conséquence, le BEA-É recommande à l’armée de l’air, en liaison avec Thalès, d’étudier la possibilité d’équiper les Mirage 2000D d’un enregistreur de vol renforcé.
4.2.2. Dialogue entre les équipes SAR et SATER
Le débriefing de l’opération SAR réalisée par le CCS montre qu’il y a eu un manque de coordination entre les équipes menant l’opération SAR et celles menant l’opération SATER.
En conséquence, le BEA-É recommande au CCS d’étudier le moyen d’assurer une coordination efficace avec les équipes au sol lors des opérations de SAR.
ANNEXE
ILLUSIONS PERCEPTIVES
Extrait du rapport de l’IRBA
Les conditions météorologiques laissent penser que la visibilité était réduite lors du vol. Ces conditions associées aux stimulations vestibulaires accompagnant une trajectoire telle que celle observée lors du vol de reconstitution sont propices à l’apparition d’illusions sensorielles d’origine vestibulaire. L’appareil vestibulaire, situé dans l’oreille interne, est un détecteur de mouvements et d’accélérations de la tête. Les informations qu’il code aident l’être humain à déterminer sa position et son orientation dans l’espace. Or, si cet appareil vestibulaire est adapté lorsqu’on se déplace à la surface de la Terre, il n’est pas adapté aux conditions particulières du vol.
Lors de la deuxième évolution verticale non planifiée, le virage en montée met le pilote dans des conditions favorables à l’apparition d’une illusion de Coriolis. L’illusion de Coriolis apparait lorsqu’un pilote exécute un mouvement de tête dans un autre plan que le plan de rotation de son aéronef (pour porter son attention sur des instruments par exemple). Les canaux semi-circulaires de son appareil vestibulaire ne sont pas adaptés pour coder de manière appropriée ces évènements. En conséquence, la résultante de ces mouvements se traduit par une sensation erronée de culbute soudaine et puissante. Si l’aéronef évolue à grande vitesse, comme c’est le cas ici, même un tout petit mouvement de la tête peut mener à l’apparition de l’illusion. Le pilote perçoit alors un mouvement de l’aéronef qui n’a pas réellement lieu. Cela peut entraîner une confusion et la mise en place de manœuvres non adaptées à la position et au mouvement réels de l’aéronef.
De plus, lors de cette deuxième évolution verticale non planifiée, l’avion suit une trajectoire courbe en accélérant. Ce type de trajectoire peut mener à l’apparition d’une illusion somato-gravique d’inversion. En effet, dans ces conditions, les organes otolithiques de l’appareil vestibulaire détectent la résultante des forces d’inertie, centrifuge et de pesanteur comme orientée vers le haut et en arrière. Cela donne l’illusion au pilote de se retrouver en position inversée avec la tête en bas. En général, la réaction à cette perception erronée est de baisser le nez de l’aéronef de manière inappropriée, ce qui mène à la perte de contrôle de la machine.
GLOSSAIRE
AIA : atelier industriel de l’aéronautique
AST : assaut en suivi de terrain
CCS : centre de coordination de sauvetage
CPIPN : consignes permanentes d’instruction du personnel navigant
DGA EP : direction générale de l’armement – Essais propulseurs
DGA EV : direction générale de l’armement – Essais en vol
DGA TA : direction générale de l’armement – Techniques aéronautiques
CFA : commandement des forces aériennes
CRFT : compte rendu de fait technique
DRH-AA : direction des ressources humaines de l’armée de l’air
EAC : école de l’aviation de chasse
EC : escadron de chasse
EIUOT : escadron d’instruction et d’utilisation opérationnelle et technique
ESTA : escadron de soutien technique aéronautique
ETD : escadron de transformation Mirage 2000D
ISG : indicateur sphérique gyroscopique
IMC : instrument meteorological conditions – conditions météorologiques de vol
aux instruments
NOSA : navigateur officier systèmes d’armes
OPEX : opération extérieure
PA : pilote automatique
PLA : point de largage de l’armement
PCO : pilote de combat opérationnel
PGS : plein gaz sec
REAC : répertoire d’emploi de l’aviation de chasse
RTBA : réseau très basse altitude
SAR : search and rescue – recherche et sauvetage
SATER : sauvetage aéroterrestre
SCALP : système de croisière conventionnel autonome à longue portée
SCN : sous-chef navigateur
SDT : suivi de terrain
TBA : très basse altitude
UTC : universal time coordinated – temps coordonné universel
VMC : visual meteorological conditions – conditions météorologiques de vol à